Décryptage
Texte: Yann Bernardinelli et CAROLE EXTERMANN

Éjaculation : l’enjeu du timing

Taboue, l’éjaculation précoce peut engendrer beaucoup de souffrances. Des solutions existent.

On préférera parler d’éjaculation rapide que précoce », explique Fiona Bourdon, sexologue et psychotraumatologue au sein de Sexopraxis. Mais parler de ce problème, justement, est si rare que les études cliniques à ce sujet manquent. Tout comme le nombre d’hommes concernés, la statistique oscille ainsi entre 5 et 30%. En plus du manque de consultations, il existe beaucoup de définitions différentes du trouble, ce qui impacte l’étendue de la population concernée. « Les 5% avancés par le registre américain me semblent plus réalistes », estime Julien Blanc, médecin au Service d’urologie du CHUV, responsable de la consultation d’andrologie. Cette spécialité s’occupe des problèmes de l’appareil reproducteur et urologique masculin. Néanmoins, elle n’est pas reconnue comme spécialité médicale en soi par la Fédération suisse des médecins. Techniquement, selon les institutions, les pays ou les époques, ce sont les urologues, les gynécologues, les endocrinologues ou encore les dermatologues qui assurent les consultations.

L’estime de soi impactée

Pour Julien Blanc, il y a éjaculation précoce lorsqu’elle a lieu sans possibilité de contrôle dans la minute suivant la pénétration et qu’elle génère des souffrances psychologiques. « Il faut que le trouble persiste plusieurs mois et que d’autres pathologies soient exclues », précise-t-il. De plus, il y a deux grands types d’éjaculations précoces, celles qui sont là depuis toujours et celles, plus rares, qui apparaissent au cours de la vie. « On en distingue même plus, selon les définitions, car il faut prendre en compte les personnes qui se considèrent comme précoces alors qu’elles ne le sont pas. Du moment que l’éjaculation, précoce, normale ou même tardive, génère un sentiment de mal-être personnel ou pour le couple, c’est important d’en parler », poursuit Julien Blanc.

La piste physiologique

Concernant l’explication physiologique de ce trouble, Julien Blanc manque également d’informations. « On ne sait pas bien ce qui se passe, nous supposons une hypersensibilité du gland associée à des changements hormonaux et psychologiques. » L’éjaculation est une activité réflexe qui survient normalement à la suite de la stimulation du gland. Elle est influencée par le contrôle cérébral à travers de nombreux circuits neuronaux reliant le cerveau à l’organe génital. Dans ce parcours, le neurotransmetteur sérotonine joue un rôle important en inhibant le réflexe d’éjaculation. Les personnes qui ont un dérèglement du système de la sérotonine peuvent avoir des difficultés à empêcher ce réflexe. Comme la sérotonine est également impliquée dans la gestion des humeurs, il existe un lien encore largement incompris avec la santé mentale. Cependant, il apparaît parfois que l’éjaculation rapide, au-delà de l’angoisse de performance, soit lié à un traumatisme. « Le trouble peut être liée à des abus sexuels lors de l’enfance, explique Fiona Bourdon. Éjaculer rapidement signifie alors mettre un terme, le plus vite possible, à la relation sexuelle vécue comme insupportable, car assimilée aux abus sexuels passés. Le corps est donc en état d’hypervigilance et réagit en fonction de cette dernière. » D’autres fois, l’éjaculation rapide est liée à un défaut d’apprentissage, c’est-à-dire la non-connaissance de son corps, de sa sensibilité et de sa sensorialité. « Ce défaut d’apprentissage est parfois en lien avec un début de sexualité basé sur la consommation de pornographie. »

Le seul médicament validé spécifiquement pour l’éjaculation précoce, la Dapoxetine, agit effectivement sur la sérotonine en augmentant son taux. D’autres solutions existent, comme des antidépresseurs, des sprays pour abaisser la sensibilité du gland, des analgésiques et des psychothérapies. « Il est difficile d’estimer le taux de réussite de toutes ses approches », indique Julien Blanc.

Au-delà de la durée

Multipliant le temps avant l’éjaculation par trois ou quatre avec la Dapoxetine, on se retrouve au mieux à deux ou trois minutes. Ce timing augmenté peut tout changer pour certains, comme ne pas suffire pour d’autres. La consultation est donc également une opportunité de dialogue autour de la sexualité, elle permet de lutter contre les fausses croyances. « Par exemple, certains patients ignorent qu’après l’éjaculation il est normal de ne plus avoir d’érection ou encore que tenir cinq minutes est tout à fait dans la norme », précise Julien Blanc. Ensuite seulement, la consultation permet d’agir grâce aux diverses possibilités d’amélioration. Pour Fiona Bourdon, l’une des solutions est d’agir au niveau des politiques en santé sexuelle. « Pour atteindre une sexualité plus épanouie, il est indispensable de nourrir l’aspect sensuel du lien à son propre corps, autant que le sexuel. Être totalement en contact avec ses sensations corporelles et celles de l’autre exclut, de facto, la dimension performative de la relation sexuelle, c’est-à-dire pénétrative
et orgasmique. » /



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