Décryptage
Texte: Stéphanie de Roguin

Quand les médicaments n'agissent pas comme prévu

En Suisse, près de 10% des hospitalisations sont liées à la prise d’un médicament et à ses éventuels effets indésirables. Beaucoup de ces situations pourraient être évitées, grâce à des gestes simples.

Qui ne s’est jamais retrouvé, à la suite de la prise d’un médicament, dans un état plus désagréable encore que le mal initial ? Cette situation est loin d’être rare. Elle représente même près de 10% des cas d’hospitalisation en Suisse, selon la Fondation Sécurité des patients. Quelles explications se cachent derrière ce chiffre ? Comment éviter ces effets indésirables et comment rattraper la situation une fois qu’ils se manifestent ?

Lorsqu’un malaise ou une éruption cutanée inattendue surviennent après la prise d’un médicament, il serait plus juste de parler « d’événement indésirable », souligne Thierry Buclin, médecin-chef au Service de pharmacologie clinique du CHUV. « L’événement, c’est quelque chose que l’on observe. Une fois le problème détecté, nous menons une investigation pour comprendre s’il est lié ou non à la prise du médicament. Si le problème concerne uniquement un individu, nous appliquons une démarche diagnostique clinique en procédant par élimination.
En cas de problème plus largement répandu, une série d’études sera faite pour déterminer s’il y a causalité ou non. On parle alors d’effet indésirable quand
on conclut qu’il existe véritablement un lien de cause à effet. »

Différents types d’effets indésirables

Le personnel médical peut anticiper l’apparition de ces effets indésirables selon le type auquel ils appartiennent : on parle d’effets indésirables de type A pour des effets essentiellement pharmacologiques. Les effets secondaires directement liés à un traitement donné en font partie, à l’image d’un anticoagulant administré à une patiente pour le.la soulager d’une thrombose, par exemple, et qui va parfois provoquer des hématomes.

Il existe aussi des effets pharmacologiques que l’on appelle off-target, de type B, comme ceux déclenchés par certains antibiotiques contenant des molécules prévues pour attaquer des bactéries, mais qui peuvent aussi se fixer sur d’autres structures de l’organisme, par exemple les neurorécepteurs. Le journal Le Temps avait rapporté au printemps 2022 l’histoire d’un patient, qui, traité par antibiotiques pour une pneumonie, a connu un épisode maniaque avec un délire mystique. C’est très probablement ce qui s’est passé dans ce cas-là.

Les événements indésirables de type B sont moins fréquents et donc plus difficiles à prévoir. En effet, les allergies ou les intolérances à une substance se révèlent imprévisibles si le ou la patiente rencontre la molécule en question pour la première fois. Dans ce cas, l’organisme déclenche une réaction inflammatoire pour se défendre. Cette réaction peut provoquer une série d’événements indésirables tels que des hépatites, des attaques artérielles ou cérébrales.

Des événements rares à considérer avec sérieux

Il peut paraître étonnant que des événements indésirables se manifestent fréquemment, alors que la procédure d’essai et de validation de toute nouvelle substance jusqu’à sa mise sur le marché est si lourde. « Certains effets indésirables rares ou très rares, des interactions avec d’autres médicaments ou d’autres risques liés à l’emploi d’un médicament ne sont observés qu’après l’autorisation, une fois que le produit est largement utilisé », rapporte Lukas Jaggi, porte-parole chez Swissmedic. Des risques qu’il ne faut en aucun cas négliger, puisqu’ils peuvent avoir des conséquences mortelles. « Cette marge d’erreur s’explique en partie parce que les candidats qui participent aux essais cliniques sont généralement plus jeunes et en meilleure santé queles malades qui vont effectivement prendre le médicament une fois celui-ci commercialisé », ajoute le spécialiste du CHUV Thierry Buclin.

En outre, les malades reçoivent plusieurs médicaments, ce qui favorise les interactions médicamenteuses.

L’importance de la pharmacovigilance

Pour améliorer l’information aux patientes, notamment dans les notices qui accompagnent tout médicament, il est primordial de relayer les événements indésirables rencontrés. Toute médecin ou pharmacienne qui en est informée a l’obligation, depuis 2003, de transmettre l’événement au réseau suisse de pharmacovigilance. Au CHUV par exemple, l’un des relais de ce réseau est le Service de pharmacologie clinique qui répond aux demandes des médecins. Le dossier de la personne est alors rigoureusement analysé pour pouvoir fournir des recommandations individualisées, par exemple une éviction définitive du médicament. Ensuite, ces spécialistes décrivent le cas sous forme anonyme dans une base de données de pharmacovigilance coordonnée par Swissmedic. Ces données rejoignent celles de très nombreux pays de l’OMS, dont le centre de pharmacovigilance situé à Uppsala, en Suède. En Suisse, on dénombre environ 3000 signalements par an.

« Les spécialistes parviennent ainsi à identifier des signaux d’effets indésirables. Ces derniers pourront justifier soit de nouvelles études, soit des ajouts sur les notices de médicaments, voire des contre-indications à certains profils de patients », explique Thierry Buclin.
L’issue de dernier recours consiste à retirer le médicament du marché, ce qui arrive plusieurs fois par an, étant donné que plusieurs dizaines de nouvelles substances entrent sur le marché chaque année.

Conseils en matière de médicaments

Des gestes simples peuvent cependant contribuer à éviter une partie des événements indésirables, précise Sébastien Marti, propriétaire et directeur de trois pharmacies dans le canton de Neuchâtel et vice-président de PharmaSuisse. « Cela peut sembler évident, mais le fait de bien lire la notice d’un médicament et de respecter les consignes qui sont données, par exemple de prendre une capsule pendant ou avant le repas, est primordial et souvent négligé. » Des médicaments courants contenant de l’ibuprofen, comme l’Algifor, ont pour effet de créer de l’acidité gastrique.
Le fait de les prendre pendant le repas diminue cette tendance. Certains traitements voient aussi leur effet perturbé lorsqu’ils sont pris avec de l’alcool ou avec du tabac. La notice signale ce type d’incompatibilités.

Dans la même veine, respecter la posologie est tout aussi important. « Si le patient éprouve le besoin de modifier la quantité prescrite, parce que l’effet est trop ou pas assez fort, il doit en parler à son médecin traitant ou pharmacien. » De manière générale, être transparent avec les professionnelles de la santé et leur donner un maximum d’informations empêchent bien des problèmes. Enfin, l’utilisation d’un pilulier ou d’un semainier peut s’avérer utile pour s’assurer d’avoir bien pris son ou ses médicaments.

Pour sa part, Thierry Buclin recommande le principe d’une sobriété médica­menteuse. Le spécialiste évoque également le cas de la prise régulière d’anti-inflammatoires, qui ont souvent pour effet d’augmenter la tension artérielle, débouchant sur la prescription
d’anti-hypertenseurs. « Il faut éviter au maximum ces cascades médicamenteuses.
Il est parfois plus bénéfique d’enlever un médicament que d’en ajouter un », insiste le médecin-chef au Service
de pharmacologie clinique du CHUV.

Le développement du dossier électronique du patient (DEP) se profile également comme une solution prometteuse pour améliorer l’information aux différentes professionnelles de la santé qui auront désormais à disposition l’historique et une vision globale de la situation de chacune de leurs patientes. Dans les établissements où un tel système existe déjà à l’interne, le dispositif informatisé signale automatiquement lorsqu’une incompatibilité médicamenteuse apparaît. /

* noms d’emprunt



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« Il faut éviter au maximum les cascades médicamenteuses. Il est parfois plus bénéfique d’enlever un médicament que d’en ajouter un », explique Thierry Buclin, médecin-chef de la Division de pharmacologie clinique du CHUV.