Tendances
Texte: Bertrand Tappy
Photo: Pawel Jonca

L'autopsie ne risque pas de mourir

Malgré les progrès de l'imagerie, la dissection du corps humain reste dans de nombreux cas une pratique indispensable pour déterminer la cause de la mort.

Une salle froide, une lumière crue, une table en inox avec, posé dessus, un corps pâle recouvert d’un drap: le décor d’une salle d’autopsie fait partie de l’inconscient collectif, même si son déroulement reste le plus souvent inconnu du grand public.

Rassurons tout de suite les plus émotifs, le but de cet article n’est pas de faire l’inventaire détaillé des étapes d’une autopsie (qui ont finalement peu évolué depuis l’anatomiste André Vésale au XVIe siècle: prélever les organes, les «fixer» dans un bain et les analyser séparément), mais plutôt de se demander si les pathologistes ou les médecins légistes y auront toujours recours d’ici à 15 ou 20 ans.

II y a aujourd’hui trois situations qui peuvent amener une personne décédée à passer une dernière fois sous le scalpel du médecin: en médecine légale, suite à un mandat du Ministère public pour une mort suspecte ou dans laquelle une intervention extérieure ne peut être exclue ou est avérée, en pathologie, dans le cas du souhait de proches ou du médecin traitant, afin d’effectuer de la recherche scientifique ou des investigations plus poussées sur les cas de décès naturels (après une prise en charge à l’hôpital, par exemple) ou encore en anatomie, à des fins de formation, lorsque la personne a fait le vœu de son vivant de léguer son corps à la science.

Autant vous le dire tout de suite: dans les trois cas, la pratique semble avoir encore de beaux jours devant elle. Mais pourquoi? Pour Silke Grabherr, cheffe du Centre universitaire romand de médecine légale, la tendance est à l’augmentation: «Si l’on veut vraiment savoir de quoi est morte une personne, nous devrons toujours ouvrir. L’imagerie peut répondre à beaucoup de questions, mais dans de nombreux cas, elle ne répond pas à tout. Dans le cas d’une noyade, par exemple, on voit bien qu’il y a du liquide dans les poumons. Mais cela peut être du sang, de l’eau, etc. Et dans les cas de strangulation, on peut trouver des lésions au niveau des os et du cartilage du cou, mais dans les muscles, beaucoup de petites hémorragies sont uniquement visibles à l’autopsie. Au cours des dernières années, nous avons constaté une hausse constante du nombre de cas. Les week-ends de garde sans intervention se comptent sur les doigts d’une main!»

Est-ce que le médicament prescrit avait agi? Est-ce que les diagnostics étaient corrects? C’est à cela que sert une autopsie médicale

À l’Institut de pathologie, la situation n’est pas tout à fait la même: «Si on réfléchit en termes d’offre et de demande, la question ne se pose même pas pour la médecine légale, répond Samuel Rotman, médecin au sein de l’Institut universitaire de pathologie du CHUV. La loi exige encore des autopsies médico-légales, et les proches ne peuvent pas refuser cette demande des autorités!

De notre côté, c’est plus complexe. À côté des autopsies médicales, nous travaillons beaucoup sur le vivant. Près de 80% de notre activité concerne les examens d’échantillons issus de patients hospitalisés, voire même sur la table d’opération. Nous effectuons des autopsies lorsque le médecin traitant ou les proches veulent connaître plus précisément ce qui a causé la mort de leur patient, de leur conjoint, de leur enfant, de leur grand-mère, etc.»

La demande d’autopsie médicale est donc une démarche difficile, qui souffre notamment des clichés véhiculés par les séries télévisées: «Les gens refusent souvent que l’on pratique une autopsie médicale, parce qu’ils imaginent qu’ils ne pourront pas revoir le corps, ou bien qu’il sera complètement méconnaissable. C’est faux: nous mettons toujours un point d’honneur à respecter le plus possible le corps. Il existe par exemple une manière très précise d’ouvrir un crâne sans laisser de cicatrice apparente, même lorsque le défunt n’a pas de cheveux. Les préparateurs font régulièrement un véritable travail d’orfèvre pour que les cicatrices soient les moins visibles possible.»

Afin d’analyser plus précisément les besoins des proches d’un patient décédé, une analyse à grande échelle vient de débuter aux HUG. Regroupant la médecine légale, les urgences, la radiologie et la pathologie, cette étude permettra également de mieux évaluer l’efficacité des examens faits lors de l’entrée du patient, en les confrontant aux résultats des examens post-mortem. En effet, un corps sans vie peut être irradié beaucoup plus qu’une personne vivante, ce qui garantit systématiquement de meilleures images.

Autre préjugé fréquent, la solitude du médecin dans l’intervention: «C’est bien sûr complètement erroné, confirme le pathologiste du CHUV. Les ressources de notre Service de pathologie sont composées de laborantins sachant maîtriser notre plateau technique spécialisé, allant de l’histologie standard (examen des cellules, ndlr) aux techniques moléculaires permettant une analyse du génome (examen de l’ADN des cellules, ndlr), par exemple pour étudier les mécanismes de résistance tumorale. Tout ce personnel spécialisé est un maillon important de l’élaboration du diagnostic.»

Une fois l’intervention pratiquée, les résultats sont transmis au médecin traitant choisi par la famille. Avec, parfois, des surprises. «Les personnes âgées souffrent rarement d’une seule pathologie, continue Samuel Rotman. S’il est écrit qu’une personne est décédée d’un arrêt cardio-respiratoire avec une longue maladie, cela n’explique pas grand-chose: est-ce que le médicament prescrit avait agi? Est-ce que les diagnostics étaient corrects? C’est à cela que sert une autopsie médicale. Mais malgré l’aide que cela peut apporter à la famille et les idées d’amélioration que cela peut apporter à l’hôpital, il y a de moins en moins d’autopsies en Europe. Non pas à cause des progrès technologiques, mais à cause de leur coût pour l’institution et aux informations parfois erronées que les gens ont reçues sur le sujet. Le CHUV en revanche se démarque de cette tendance depuis trois ans grâce à son aide à la mise en place de notre projet. Mais beaucoup de travail reste encore à faire pour briser les clichés.» Moralité: s’ils ne veulent pas tuer l’auto--psie, peut-être que «Les Experts» de la télévision devraient arrêter d’en faire! ⁄



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3 à 6 mois pour les résultats

On pourrait penser que les résultats d’une autopsie tombent souvent quelques minutes après l’intervention (voire instantanément, à la télévision). C’est bien évidemment faux. En médecine légale, le dossier complet comprend les analyses du scanner, de l’examen externe, de l’autopsie, d’un IRM, de l’histologie, de la toxicologie et de l’angioscan (voir In Vivo n°1). Entre la réalisation et le temps que l’expert prend pour tout rédiger et son collègue pour valider les résultats, il faut compter 3 à 6 mois. Le corps ne reste pas plus de 24 heures sur place, afin d’être rendu au plus vite à la famille.