Tendances
Texte: Marie-Adèle Copin
Photo: Eric Déroze

Haut potentiel? Les parents veulent savoir

Les bilans psychologiques se multiplient pour identifier les enfants précoces. Un effet de mode qui cache une réalité complexe: les jeunes surdoués peuvent aussi surprendre par leurs échecs.

En savoir plus:

«La petite noblesse de l’intelligence: Une sociologie des enfants surdoués», Wilfried Lignier, Ed. La Découverte, 2012.

Enéa a de bonnes notes. Mais elle perturbe la classe, bavarde et se plaint souvent. Une situation qui étonne sa mère, Stéphanie. A la maison, cette écolière lausannoise alors âgée de 7 ans est calme, responsable et pas du genre à embêter les autres. Le problème? A l’école, Enéa s’ennuie. Une amie enseignante conseille alors à Stéphanie Laurent de faire passer un test à sa fille pour déterminer si elle est une enfant à haut potentiel. Le diagnostic est positif.

Les enfants à haut potentiel (HP) sont qualifiés de surdoués ou précoces. On les compare parfois à des enfants prodiges, ce qui contribue à l’augmentation des demandes de bilans psychologiques. «L’intérêt pour ce test est grandissant, confirme Pierre Fumeaux, pédopsychiatre au CHUV, qui réalise actuellement une étude sur le sujet. Il y a quelques années, face à un élève en difficulté, les parents ou les enseignants demandaient au médecin s’il était hyperactif. Aujourd’hui, c’est le terme «haut potentiel» qui se retrouve sur le devant de la scène médiatique.» Contrairement aux idées reçues, surdoué ne rime pas toujours avec réussite. Les enfants à haut potentiel peuvent aussi surprendre par leurs échecs.

Un cerveau différent

Pour être «diagnostiqué HP», il faut obtenir un score égal ou supérieur à 130 aux tests de quotient intellectuel (QI). «Mais ce chiffre ne suffit pas. Il s’agit également de comprendre dans quel contexte familial et social l’enfant s’insère, et saisir sa personnalité», explique Claudia Jankech, psychothérapeute à Lausanne, spécialiste de l’enfant et de l’adolescent.

Paradoxalement, un nombre important d’enfants HP rencontrent des problèmes scolaires. «Quand c’est trop facile pour eux, ils prennent l’habitude d’être en pilote automatique, relève la psychologue. Ils n’ont jamais appris à apprendre.» Ces difficultés s’expliquent en partie par ce que les spécialistes appellent la pensée en arborescence: «Les personnes standards construisent un raisonnement logique par une pensée linéaire et séquentielle. La réflexion de l’enfant HP, en revanche, se caractérise par un feu d’artifice d’idées et d’intuitions redoutables. Il arrivera à résoudre des équations complexes mais aura beaucoup de peine à expliquer son raisonnement», détaille Pierre Fumeaux. Des études suggèrent que les enfants

Paradoxalement, un nombre important d’enfants HP rencontrent des problèmes scolaires. «Quand c’est trop facile pour eux, ils prennent l’habitude d’être en pilote automatique, relève la psychologue. Ils n’ont jamais appris à apprendre.»

HP possèdent un cerveau qui fonctionne différemment. Ils bénéficieraient d’une meilleure transmission de l’information entre leurs deux hémisphères cérébraux. «On peut supposer qu’ils utilisent facilement leur cerveau droit et gauche et peuvent allier de très bonnes capacités en logique et en créativité», précise le pédopsychiatre.

D’autres travaux mettent en lumière que les enfants HP parviennent à jongler plus facilement avec des concepts et à réfléchir à des choses abstraites comme le calcul mental. «En faisant une imagerie cérébrale fonctionnelle, c’est-à-dire en injectant un produit qui va allumer les zones les plus vascularisées, on peut visualiser sur un scanner quelles zones du cerveau sont activées. Un stimulus ou une tâche donnée va activer certaines zones chez les individus standards. Chez l’enfant HP, plusieurs zones parfois plus étendues s’activent en même temps», ajoute-t-il. Ces indices guident les médecins sur la manière dont fonctionne l’esprit HP. «Mais nos connaissances en neurosciences restent limitées, admet le chercheur. Le haut potentiel n’est pas une maladie mais un profil cognitif singulier, ce qui n’en fait pas la priorité des chercheurs.»

INTERVIEW «Les méthodes de diagnostic sont discutables»

Dans le cadre d’une enquête menée sur les enfants surdoués, le sociologue français Wilfried Lignier a constaté que les tests censés détecter la précocité ne faisaient pas l’unanimité parmi les spécialistes.

In Vivo Vous observez que les enfants précoces n’ont, pour la plupart, pas de problèmes scolaires ou psychologiques. Pourquoi les parents leur font-ils passer des tests?
Wilfried Lignier Il s’agit de parents particulièrement inquiets qui anticipent les difficultés, alors que leurs enfants ont toutes les chances de réussir. A leurs yeux, l’évaluation des enfants par l’école ne suffit pas. La psychologie offre un supplément de légitimité.

IV Vous abordez la question de la précocité comme une conception «discutée et discutable». Pourquoi?
WL La non-reconnaissance de la précocité par de nombreux psychologues est avant tout liée au crédit très relatif accordé aux tests de QI. Ces tests sont censés évaluer autre chose que les compétences scolaires, alors qu’ils ont une forme assez proche de l’exercice d’école. D’ailleurs, les enfants ne s’y trompent pas et disent parfois, à l’issue du test, qu’ils ont réussi les «maths» pour parler des épreuves de logique, ou le «français» pour parler des tests de vocabulaire. Le fait que ces tests se rapprochent d’exercices scolaires contrevient à l’idée que l’intelligence ce ne serait pas la même chose que le niveau scolaire. Or l’essentiel des effets sociaux attendus d’un test repose sur cette idée qu’ils donneraient accès à une vérité que ne dit pas l’école.

IV Vous montrez que le diagnostic est sexué: comment expliquer que le haut potentiel soit détecté plus souvent chez les garçons?
WL Les parents ont tendance à s’inquiéter davantage de leur devenir, sur lequel portent plus volontiers les espérances d’ascension sociale. Le fait que les garçons ont plus de chance de présenter des «symptômes», comme ne pas tenir en place ou manifester explicitement son ennui, joue aussi un rôle.

Hyper-sensibilité

Les enfants HP se caractérisent également par des particularités émotionnelles avec une grande sensibilité et beaucoup d’empathie. Les deux autres enfants de Stéphanie Laurent, des garçons, ontaussi été diagnostiqués à haut potentiel. «Nathael, 6 ans, pleure à Noël parce que les pauvres ont froid et n’ont rien à manger.» Une hyper-sensibilité qui l’affole. «Cela prend des proportions parfois énormes. A une période, Mathys, 8 ans, avait des angoisses irraisonnées parce qu’il savait qu’il y avait un noyau en feu au centre de la Terre.» Pour Myriam Bickle Graz, pédiatre du développement au CHUV, qui a rédigé un mémoire sur le sujet, «les enfants vus en consultation sont souvent débordés par leurs émotions. Certains sont des écorchés vifs, ils n’ont pas de filtre. La peur de la mort, par exemple, est très précoce.» Ils développent alors des symptômes comme l’anxiété, des troubles du sommeil, des relations difficiles avec les autres enfants ou de l’agressivité.

Les enfants HP les plus heureux sont ceux qui ne sont pas identifiés et qui parviennent à s’adapter.

Comme dans la famille Laurent, il y a souvent plusieurs enfants surdoués au sein de la même fratrie. «Cela ne signifie pas forcément que toute la fratrie est HP, mais on observe un certain héritage génétique, sans pour autant le prouver scientifiquement, explique Myriam Bickle Graz. Cela reste une observation clinique.»

Si certains enfants à haut potentiel souffrent, la majorité d’entre eux vit normalement. Comme le résume Pierre Fumeaux, «les enfants HP les plus heureux sont ceux qui ne sont pas identifiés et qui parviennent à s’adapter».



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2%

Le nombre d’enfants HP au sein de la population, selon l’Organisation mondiale de la santé.

33%

Le nombre d’enfants HP qui réussissent à l’école, selon l’Association française pour les enfants précoces.

55%

Le nombre d’enfants HP présentant des troubles dépressifs, selon l’Association suisse pour les enfants précoces.