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Texte: Charlotte Mermier

Pénurie d’un gaz surabondant

Une molécule, une histoire: le CO2

Le CO2 a mauvaise presse. Qu’on l’appelle dioxyde de carbone ou gaz carbonique importe peu. Sa responsabilité, avec d’autres, dans le réchauffement climatique le devance. Gaz à effet de serre, émis en grandes quantités par les activités humaines, il symbolise depuis quelques décennies l’impact néfaste de l’Homme sur son environnement.

À cela s’ajoute qu’à haute concentration, il devient dangereux. Il se substitue dans nos poumons à l’oxygène et cause notre asphyxie. «Le CO2 fait peur parce qu’il est produit par la respiration. C’est la substance que notre corps cherche à éliminer», commente Thierry Buclin, médecin-chef du Service de pharmacologie clinique du CHUV. Réchauffement climatique, asphyxie, déchet, les forfaits s’accumulent… Mais ce casier de truand est compensé par quelques bonnes actions.

En effet, le CO2 est aussi inextricablement lié à la vie. Les plantes en ont besoin pour la photosynthèse, qui libère l’oxygène. Il aide également à réguler le pH du sang et joue un rôle essentiel dans notre corps. «Lorsqu’on cultive des cellules en laboratoire, il faut les exposer à du gaz carbonique. Il est même nécessaire d’en augmenter la concentration, car il n’y en a pas assez dans l’air ambiant, où les cellules ne poussent pas», continue Thierry Buclin.

Il semblerait qu’on ne puisse pas se passer de ce grand mal-aimé.

Bien plates seraient nos bières et nos boissons gazeuses sans leurs petites bulles. C’est bien du CO2 qui y est injecté. L’aspirine est également fabriquée grâce à une réaction chimique qui nécessite la présence de gaz carbonique sous pression. Même le café décaféiné en fait usage. «Le CO2 liquide est un bon dissolvant de certaines molécules, dont la caféine. On le fait circuler dans le café moulu pour en extraire la caféine sans altérer les goûts et les arômes», explique Thierry Buclin. Suren Erkman, responsable du Groupe «Écologie Industrielle» à la Faculté des géosciences de l’Université de Lausanne (UNIL), complète la liste:

«Des molécules à forte valeur ajoutée sont produites à base de dioxyde de carbone, comme des matériaux de construction, des polymères, ou encore des carburants et du méthane.»

Ça tombe bien, ce gaz multitâche semble disponible à profusion. «Il y a dans l’atmosphère un excès d’environ 900 milliards de tonnes de CO2 d’origine humaine par rapport à la période préindustrielle», confirme Suren Erkman. Et pourtant… Malgré son abondance, l’Europe a failli manquer de bière pendant la Coupe du monde de football cette année, à cause d’une pénurie de dioxyde de carbone! Comment est-ce possible?

«Nous sommes capables d’extraire le CO2 de l’air depuis la Seconde Guerre mondiale. Il s’agissait alors d’éviter que les équipages des sous-marins ne s’asphyxient», explique Suren Erkman. Mais des préjugés font obstacle à un usage plus intensif de cette technique. «Il faudrait cesser de voir le CO2 comme le diable incarné, comme un déchet dont il faut se débarrasser. On présente ce gaz comme une nuisance, alors qu’on pourrait inverser la perspective en le considérant comme une ressource à valoriser.»



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