Faire analyser son patrimoine génétique pour détecter un risque de maladie: une pratique qui séduit les consommateurs, mais qui présente des risques. Les quatre raisons de s’en méfier.
Mar 16, 2014
La société 23andMe a dû revoir son offre fin 2013: la Food and Drug Administration lui a ordonné de stopper la commercialisation de ses kits de dépistage génétique à cause de l’inexactitude de leur résultat. L’entreprise californienne a cessé de livrer des conclusions d’ordre médical, mais continue de vendre ses kits aux consommateurs qui souhaitent obtenir des informations sur leurs origines ancestrales. Le think thank Techfreedom, qui promeut la technologie, a réuni 10’000 signatures en soutien à 23andMe.
Nov 29, 2013
Mise à jour: La FDA demande à la société 23andMe de stopper la vente de ses tests ADN. A lire sur le site de "The Verge" (en anglais).
Les avancées technologiques et les découvertes génétiques des années 2000 ont entraîné l’essor d’un nouveau marché: celui des tests ADN directement destinés au consommateur. Plusieurs dizaines d’entreprises, principalement basées aux Etats-Unis, opèrent aujourd’hui dans le secteur. Pour des prix compris entre 200 et 1’000 francs, elles promettent à leurs clients de déterminer d’où viennent leurs ancêtres, s’ils ont des prédispositions à certaines maladies ou encore s’ils possèdent le «gène
du guerrier», soit un goût plus marqué que la moyenne pour le risque et de meilleures chances
de succès. Pour accéder à ces informations, le client ne doit
pas se déplacer. Une fois le test commandé par internet, il reçoit un kit de prélèvement et fait parvenir par la poste l’échantillon de salive nécessaire aux analyses.
Fondatrice de trois sociétés qui proposent ce type de tests en Suisse, la biologiste Joëlle Apter souligne le fort intérêt du public. «La demande augmente constamment. Actuellement, nous vendons 3’000 tests par an, dont une grande majorité concerne les origines. A mes yeux, chacun doit pouvoir choisir s’il veut avoir accès ou non à ces informations.» Cet engouement inquiète les professionnels de la santé.
«Ces entreprises – la plus connue se nomme 23andMe – analysent 1 ou 2 millions de variations qui sont relativement fréquentes dans le génome humain, explique Vincent Mooser, responsable du Département des laboratoires du CHUV. Il s’agit de variations qui, certes, sont informatives pour une personne qui s’intéresse à la généalogie, mais qui présentent une valeur prédictive restreinte en matière de santé. Par exemple, le risque élevé pour Angelina Jolie de souffrir un jour d’un cancer du sein, investigué de manière ciblée en milieu médical, n’aurait pas pu être détecté avec un test par internet. Ces analyses ne tiennent pas non plus compte de l’environnement dans lequel se trouve un individu, alors que les maladies découlent toujours de multiples facteurs.»
Pour Vincent Mooser, l’absence de contrôle est également inquiétante. «Si certains laboratoires ont bonne réputation dans la communauté scientifique, comme 23andMe, nous n’avons aucune idée de la manière dont ils travaillent.» Pour Armand Bottani, généticien membre de la Commission fédérale d’experts pour l’analyse génétique humaine, l’essor de ce marché est inévitable. «Il s’agit d’une réalité contre laquelle nous ne pouvons plus vraiment lutter. Nous voulons donc un meilleur encadrement et que les entreprises jouent cartes sur table. Elles devraient obtenir une autorisation fédérale pour exercer et informer en détail les clients sur les produits, leurs limites et leurs conséquences potentielles.»
Certains experts soulignent aussi le manque de garanties en matière de protection des données. Les entreprises de la branche stockent les informations de leurs clients à grande échelle. En Suisse, la manipulation de matériel génétique, considérée comme sensible, demande des mesures organisationnelles et techniques très strictes. Mais de nombreux pays ne répondent pas aux mêmes exigences, notamment les Etats-Unis.
Pour Ruth Baumann-Hölzle, directrice de l’Institut zurichois spécialisé dans l’éthique en santé publique Dialog Ethik et membre de la Commission nationale d’éthique dans le domaine de la médecine humaine, le phénomène soulève de nombreuses questions. Dans le cadre clinique, les médecins procèdent à des tests ADN pour confirmer un diagnostic. Les offres sur le web portent, en revanche, sur un grand nombre de maladies de manière arbitraire. «Les clients reçoivent des indications parfois inquiétantes qui peuvent avoir des conséquences sur leur équilibre et celui de leur entourage. Que fait un individu de telles informations? Qu’en fait la société? Que se passe-t-il si les assurances maladie et les employeurs en prennent connaissance?»
Ces interrogations devraient se faire plus pressantes à mesure que la technique progresse. Les entreprises de test génétique on line, qui auront certainement accès d’ici à quelques années au séquençage complet du génome, pourront livrer toujours davantage d’informations à leurs clients. ⁄
En Suisse, la loi interdit la vente de tests génétiques aux particuliers. Mais les offres des sociétés étrangères sont très facilement accessibles en ligne. En dépit de la législation, trois entreprises basées à Zurich – Igenea, Gentest et Genepartner – commercialisent par ailleurs ce type de services. Elles contournent l’interdiction en faisant réaliser les analyses dans des laboratoires étrangers et se chargent uniquement de l’explication des résultats et du contact avec les clients.
Face à un contexte en pleine évolution, la Suisse tente de s’adapter. La Commission fédérale d’experts pour l’analyse génétique humaine s’est prononcée en février 2013 pour une «ouverture prudente» du marché. Elle recommande d’autoriser les tests lorsqu’ils ne concernent pas directement la santé, tout en déconseillant à la population d’y recourir.
Mais une révision de la loi pourrait bien se faire attendre. Le Parlement, qui tranche sur ces questions, observe toute libéralisation d’un œil critique. Lors du dernier vote sur le sujet en 2012, il avait refusé à une très large majorité d’autoriser les tests ADN sans encadrement médical.
La présence du gène du guerrier, soit un goût plus marqué que la moyenne pour le risque.
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La compatibilité amoureuse entre deux personnes.
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La capacité à éviter des erreurs.
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Le peuple d’origine, qu’il s’agisse des Vikings ou des Celtes.
Pour la recherche médicale, les informations génétiques sont d’une importance primordiale. Elles permettent de mieux comprendre les mécanismes d’une maladie et de développer de nouveaux traitements. Menant un projet unique en Suisse, le CHUV récolte depuis début 2013, auprès des patients qui y consentent, des données génétiques qui seront conservées et pourront être utilisées pour la recherche. Après huit mois d’existence, la Biobanque institutionnelle lausannoise disposait déjà de 4’500 échantillons. A long terme, elle compte en recueillir 15’000 par an.