Prospection
Texte: Rachel Perret
Photo: Eric Déroze - Service d'appui multimédia (SAM)

À l'école des patients

Face aux inquiétudes des patients avant une opération, les hôpitaux mettent en place des séances d'information collective. Objectif: les rendre acteurs de la réussite de leur intervention.

Accueil, café et croissants: il est 9h30, l’auditoire Placide Nicod rue Pierre-Decker à Lausanne se remplit, bloc-notes et stylos se préparent. Dans l’assistance, une trentaine de personnes attentives et un peu tendues. «Bienvenue à l’hôpital orthopédique», entame le Dr Julien Stanovici, chirurgien au Service d’orthopédie et de traumatologie de l’appareil locomoteur, au CHUV. Il a, face à lui, non pas un parterre d’étudiants, mais ses patients.

Dans un mois environ, ceux-ci bénéficieront d’une intervention pour une prothèse de hanche ou de genou et ont été conviés à une séance d’information en groupe. Un rendez-vous qui s’ajoute à la consultation préopératoire. À l’origine de cette initiative lancée cette année au CHUV mais dont le concept a déjà été testé sous différentes formes dans d’autres hôpitaux américains et suisses – les Dr Stanovici et Éric Albrecht, médecin adjoint au Service d’anesthésiologie, expliquent: «Le contenu des informations données lors de la consultation préopératoire est très hétérogène. Durant cet entretien, le patient a peu de temps pour s’exprimer et poser des questions. Or, dans le cadre de cette chirurgie, obtenir son adhésion et sa participation est déterminant, car cela a un impact direct sur l’évolution postopératoire.»

L'avantage du groupe

Dans l’auditoire, chaque professionnel impliqué dans le futur parcours du patient à l’hôpital décrit son rôle. Il répond aux interrogations, qui sont nombreuses: «Quand est-ce que je pourrai conduire de nouveau?», «Combien de temps durera l’opération?», «Est-ce qu’il y a des activités qui réduisent la durée de vie des prothèses?», «Risquent-elles de se casser?», «J’habite au 3e étage, sans ascenseur…», etc. Pour Robin Philippossian, physiothérapeute répondant en orthopédie, ces questions représentent autant d’occasions non seulement de rassurer, mais aussi, et surtout, de faire comprendre les enjeux d’une mobilisation précoce pour favoriser le partenariat thérapeutique avec le patient et le rendre acteur de sa propre prise en charge.

«Le groupe a aussi pour effet de libérer la parole et, peut-être, de se sentir moins intimidé face à la blouse blanche».

Jean-Luc Dorier, un patient opéré pour une prothèse de hanche en septembre, relève: «J’ai eu des réponses à des questions que je ne me serais pas posées. Surtout, j’ai eu le sentiment d’avoir en face de moi une vraie équipe, travaillant dans la même direction et de façon coordonnée. C’est cela qui m’a le plus rassuré.» De retour au travail après 7 semaines de convalescence, il souligne par ailleurs la cohérence du discours avec son séjour, notamment concernant la prise en charge de la douleur, «remarquable».

Anticiper un retour au domicile plus rapide

Jean-Luc Dorier est rentré chez lui après deux jours, contribuant sans le savoir à la diminution de la durée moyenne des séjours en chirurgie prothétique, passée en deux ans de huit à quatre jours. «C’était une des données de base de notre réflexion, précise Éric Albrecht. Différents facteurs, comme la mobilisation précoce ou le fait qu’on n’utilise plus de drain, ont contribué à réduire la durée des séjours. L’anesthésie rachidienne aussi, sur laquelle on insiste beaucoup durant la séance d’information, permet de mieux récupérer et de rentrer plus vite chez soi. Dans ce contexte, améliorer l’information donnée au patient était devenu indispensable pour lui permettre d’anticiper sereinement son retour à la maison et de comprendre pourquoi un séjour court est à son avantage.»

Devoir d'informer et désir de rassurer

Aux Hôpitaux universitaires de Genève (HUG), le Dr Domizio Suva, médecin adjoint agrégé au Service de chirurgie orthopédique et traumatologie, avait participé en 2002 déjà à la mise en place d’un programme similaire. Il tirait de l’expérience, qui a toujours cours, un autre constat: «Ce modèle de communication favorise le partenariat et offre un bon compromis entre les principes d’autonomie du patient et celui de bienfaisance du soignant.»* Reste que l’exercice n’est pas simple. En effet, si Jean-Luc Dorier n’a vu que des avantages à ce rendez-vous en groupe, Jean-Pierre Polo, un patient opéré pour une prothèse de genou, n’a pas vécu les choses ainsi. «Cette séance, avec tout ce monde, m’a impressionné. Plutôt que d’énumérer les risques, ils auraient dû davantage insister sur ce qui irait mieux. Tout cela m’a angoissé, même si, au final, tout s’est très bien passé.»

Marie-Gabrielle Wick Brasey, ergothérapeute cheffe de service au CHUV, relève elle aussi la complexité de l’exercice: «Être bon dans l’information, tant au niveau du contenu que de la forme, représente un défi qui nécessite de s’adapter continuellement.»

Anne-Sylvie Diezi, spécialiste du domaine de l’information patient au CHUV, rappelle les points de tension qu’il y a entre, d’une part, l’obligation légale pour le médecin de donner une information complète et objective à son patient, et, d’autre part, sa volonté de le rassurer et de lui offrir une véritable aide à la décision. «Il faut trouver le bon dosage. Ces séances collectives ont l’avantage de rendre possible la discussion et d’amener des informations générales que les professionnels n’ont pas le temps d’aborder en consultation individuelle. Elles offrent ainsi un complément précieux à cette dernière.»

Retour à l’hôpital orthopédique du CHUV, auditoire Placide Nicod. Deux heures de discussion n’auront pas tout à fait suffi à certains, qui s’entretiendront encore sur le pas de la porte avec Julien Stanovici. Pour le chirurgien, «ces échanges permettent de faire passer de nombreux messages mais aussi d’en recevoir, instaurant entre professionnels et patients un nouveau mode de relation.»

3 QUESTIONS À LA PROF. CATHERINE TOURETTE-TURGIS

À Paris, cet automne, 82 étudiants ont fait leur rentrée à L’Université des patients – La Sorbonne. Depuis sa création en 2009, près de 180 personnes malades y ont été diplômées. Sa fondatrice et directrice nous explique le principe de cette école, encore unique.

À qui s’adresse l’Université des patients?

Ce programme propose de valider et valoriser des acquis de l’expérience de la maladie: des compétences psycho- sociales ou en auto-soin par exemple, qui peuvent servir à toute la communauté. Chaque parcours diplômant (il y en a trois: éducation thérapeutique, démocratie en santé et patient partenaire en cancérologie) est aussi ouvert aux professionnels de santé. L’Université des patients a d’abord été imaginée pour les malades chroniques, dans le cadre des dispositifs législatifs français sur le droit des usagers (2002), mais elle peut s’adresser à tous les patients, quelle que soit leur situation.

Qu’est-ce qu’on y apprend?

L’Université des patients forme ses étudiants pour qu’ils puissent intégrer les équipes de soins comme patient partenaire, notamment en cancérologie. Elle décrypte le fonctionnement du système de soins et donne des compétences en termes de prise de parole et de communication en vue d’optimiser le pouvoir d’agir des patients en tant que malade et citoyen. Le but, au final, c’est de transformer les patients en acteurs de santé.

Qu’est-ce que ce dispositif peut apporter à l’hôpital?

Le patient acteur, partenaire, expert ou ressource, peu importe sa dénomination, apporte son regard d’usager et peut donc guider les professionnels sur le chemin de l’amélioration du système. La prise en compte de son expérience est désormais une variable incontournable dans tout projet d’amélioration.



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Photo ci-dessus:

Jean-Luc Dorier a été opéré pour une prothèse de hanche et a bénéficié de séances d’information en groupe pour assurer un meilleur suivi.