Interview
Texte: Propos recueillis par Gary Drechou
Photo: Gilles Weber (SAM)

3 questions à Mathieu Bernard

«Chercheur en gratitude», Mathieu Bernard aime les ascensions exigeantes en montagne autant que la science des comportements. Versant positif.

Qu’est-ce qui vous a amené à vous intéresser à la gratitude?

Après mes études en psychologie, j’ai eu l’occasion de travailler au Département de psychiatrie du CHUV sur un projet de recherche visant à mieux comprendre les conduites à risque à l’adolescence, notamment liées à la consommation de substances psychoactives. Étant moi-même amateur de certaines activités en montagne considérées comme risquées, j’avais du mal à me retrouver dans le discours «pathologisant» que l’on trouvait parfois dans la littérature. J’avais envie d’aller plus loin, mais je cherchais un angle. C’est alors que j’ai découvert, un peu par hasard, la théorie du flow développée par le Hongrois Mihály Csíkszentmihályi, qui s’inscrit dans le courant de la psychologie positive. Il s’agit d’«expériences optimales» que peuvent vivre un danseur, un chirurgien ou un grimpeur lorsqu’ils sont complètement absorbés dans leur activité, enchaînant les gestes comme si de rien n’était. Pour l’auteur, l’atteinte de cet état particulier – un juste équilibre entre défi et compétences – peut être un facteur d’accomplissement personnel et de bien-être.

Suivant cette piste, j’ai donc consacré ma thèse à l’expérience du flow dans le contexte de l’alpinisme. En parallèle, j’ai été engagé comme assistant pour un projet de recherche touchant à la communication en oncologie, mené au sein du Département de psychiatrie, puis pour le développement d’un projet centré sur les soins de support et la qualité de vie pour les patients oncologiques. Ces deux contextes n’avaient pas grand-chose à voir au départ, mais ils se sont croisés. Je trouve particulièrement intéressant aujourd’hui de tenter d’appliquer certains principes et concepts propres à la psychologie positive, comme celui de gratitude, dans le domaine des soins palliatifs et de la fin de vie, dans la continuité aussi des travaux centrés sur les besoins et les ressources du patient.

La «qualité de vie» revient souvent dans vos propos. Mais n’est-ce pas un grand mot dans le contexte des soins palliatifs, où la vie des patients est comptée?

La qualité de vie est l’indicateur-clé en soins palliatifs. On a le plus souvent tendance à opposer de façon binaire les logiques de quantité et de qualité de vie. Un patient à qui l’on vient d’annoncer un cancer à un stade avancé dira peut-être: «Je veux tout. On essaie tout pour que je vive le plus longtemps possible.» L’approche est alors curative, parfois jusqu’au-boutiste: ce que l’on privilégie, c’est la quantité de vie. Cette réaction peut facilement se comprendre et doit être respectée. Si l’on me diagnostiquait une maladie mortelle, mon premier réflexe, et peut-être mon dernier, serait probablement de dire: «Je veux vivre!» Mais, au cours de la maladie et des traitements suivis, la question de la qualité de vie peut (re)devenir essentielle.

Après avoir essayé trois traitements de chimiothérapie, par exemple, il est possible que les priorités du patient évoluent et qu’un changement d’orientation thérapeutique intervienne, qui privilégie la qualité de vie.

Ça ne veut pas dire qu’on arrête les traitements, qu’on laisse tomber le patient, mais qu’on passe d’une optique curative à une optique palliative. Reste encore à savoir ce que représente la qualité de vie pour le patient lui-même, et ce qui peut y contribuer. Elle ne se résume pas forcément à son état de santé. C’est quelque chose de profondément subjectif: la qualité de vie est sans doute propre à chaque individu.

Le stress post-traumatique est un état relativement bien compris. Mais vous parlez également de croissance post-traumatique. De quoi s’agit-il?

La croissance post-traumatique fait référence à des changements psychologiques positifs qui peuvent survenir à la suite d’événements de vie traumatiques, comme peut l’être l’annonce d’une maladie potentiellement mortelle. Dans le cas d’événements de vie positifs, par exemple si vous gagnez au loto, certaines études montrent que vous allez sûrement connaître un pic de bien-être, puis que votre courbe reviendra assez rapidement à son niveau d’origine. L’inverse se vérifie aussi. Après l’annonce d’une maladie mortelle, il peut y avoir un processus psychologique, conscient ou inconscient, qui s’enclenche, qui fait que certaines personnes parviennent à «remonter la pente», à s’adapter, à trouver une raison profonde de continuer à vivre en s’appuyant sur de nouvelles valeurs ou de nouveaux objectifs. Cela peut notamment se traduire par le développement d’une certaine forme de spiritualité ou encore par le choix de privilégier et profiter pleinement des personnes chères.

Ces changements peuvent participer à une certaine forme d’accomplissement personnel, ou du moins à une acceptation de l’évolution d’une maladie, à un certain niveau d’apaisement.

Ce n’est pas le cas de tout le monde, évidemment, mais c’est une trajectoire que l’on observe chez de nombreux patients palliatifs. Pouvoir comprendre les mécanismes qui y contribuent devient alors fondamental dans le but de pouvoir accompagner au mieux les patients palliatifs du futur.



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Mathieu Bernard est responsable de recherche au Service de soins palliatifs et de support du CHUV et chargé de cours à l'Institut des humanités en médecine.