Décryptage
Texte: Erik Freudenreich
Photo: Tom Craig / Demotix

La guerre des prix

Alors que les coûts de nouveaux médicaments atteignent des sommets, les systèmes de santé s’interrogent: faut-il accepter toutes les conditions des pharmas?

Le Sovaldi, un nouveau médicament contre l’hépatite C, promet de guérir près de 90% des patients dans un délai de seulement douze semaines. Une avancée considérable dans la lutte contre cette pathologie, car les traitements disponibles jusqu’ici offraient un taux de guérison bien plus faible et s’accompagnaient souvent d’effets secondaires indésirables.

Le hic? Son prix. Aux Etats-Unis, le traitement de trois mois coûte plus de 80’000 francs. En Allemagne, les 80 comprimés sont facturés 49’000 francs, tandis qu’un citoyen suisse doit débourser près de 60’000 francs pour bénéficier des effets de la molécule miracle. Mais en Egypte, où près de 15% de la population est infectée, son concepteur, le laboratoire américain Gilead, propose le traitement pour à peine 800 francs, arguant que le prix facturé dans les pays occidentaux permet de le vendre à prix coûtant dans les régions du globe qui ont en le plus besoin.

Ces différences ont provoqué une vive polémique à l’occasion du lancement du médicament en France il y a quelques mois, où le coût du traitement a finalement été fixé à 41’000 francs, après une négociation acharnée du Ministère de la santé français.

Réagissant à cette controverse, l’Office fédéral de la santé publique (OFSP) a publié un communiqué début février dans lequel il constate que «certains représentants de l’industrie pharmaceutique tentent, par une politique des prix d’un nouveau genre, de générer le plus de profits possibles grâce aux systèmes de sécurité sociale, financés par les impôts et les primes des assurés, des pays développés.» Pour Thomas Cueni, secrétaire général d’Interpharma, l’association faîtière de l’industrie pharmaceutique suisse, les bénéfices sur le long terme doivent être considérés. «L’hépatite C est une maladie qui génère des coûts très élevés: traitement d’une cirrhose du foie, transplantations… Qu’elle puisse désormais être traitée dans la grande majorité des cas, et de plus dans un laps de temps très court, devrait nous obliger à relativiser le coût d’un médicament comme le Sovaldi.»

Le coût de la recherche

L’exemple est loin d’être marginal. Bon nombre de nouvelles molécules sont aujourd’hui lancées à un prix faramineux, notamment dans le domaine de l’immunothérapie, des traitements oncologiques destinés à stimuler les défenses immunitaires des patients. Aux Etats-Unis, le médicament Avastin, conçu pour lutter contre le cancer du côlon, est facturé entre 4’000 et 9’000 francs par mois suivant le poids du malade. Le traitement contre la leucémie Blincyto, coûte mensuellement près de 13’000 francs. La nouvelle molécule contre le cancer du poumon développée par Novartis, vendue sous le nom de Zykadia, affiche un coût de 14’000 francs par mois.

Les groupes pharmaceutiques expliquent ces tarifs par les contraintes règlementaires, les attentes de leurs actionnaires et des coûts de recherche et développement toujours plus élevés. «Il est vrai que lorsque l’on prend en considération les sommes investies dans les recherches qui n’ont pas abouti, le coût de la recherche et développement d’une molécule peut varier du simple au double, soit de 4 à 11 milliards de dollars», remarque le québécois Jacques Beaulieu, biologiste et auteur du récent ouvrage «Ces médicaments qui ont changé nos vies» (Multimondes, 2014). Une enquête menée par la revue économique «Forbes» montre en effet qu’une compagnie pharmaceutique doit débourser au moins 350 millions de dollars avant que son médicament soit commercialisé. Comme la plupart des grands groupes développent plusieurs projets en parallèle, le magazine américain a calculé que la facture se monte en moyenne à 5 milliards de dollars par nouveau médicament arrivant sur le marché.

Des chiffres colossaux qui ne peuvent cependant justifier à eux seuls les tarifs pratiqués par l’industrie pharmaceutique. En effet, d’après l’analyse menée par «Forbes», le coût de la recherche et développement représente environ 20% du prix de vente, alors que les groupes pharmaceutiques dépensent des sommes supérieures pour la promotion de leurs produits et engrangent une marge de près de 20 à 30% par médicament vendu.

Le cas helvétique

En Suisse, c’est l’Office fédéral de la santé publique qui détermine si un médicament doit être remboursé par l’assurance-maladie de base. «Cette décision est prise selon des critères d’opportunité, d’efficacité et de coût», précise Oliver Peters, vice-directeur de l’OFSP. Dans les cas des médicaments contre l’hépatite C, il a été décidé de réserver leur usage à des patients souffrant d’une affection avancée du foie. Une limitation qui s’avère par ailleurs justifiée médicalement, une étude récente venant de montrer que les chances de guérison de cette maladie demeuraient bonnes même en cas de traitement tardif.»

Mais finalement, quel est le coût acceptable pour sauver une vie? Le Tribunal fédéral (TF) a été amené à se pencher sur la question il y a quelques années. Une patiente âgée s’est vu diagnostiquer la forme adulte de la maladie de Pompe, une affection génétique provoquant une atteinte musculaire. Dans un premier temps, l’assurance de la patiente a accepté un traitement de six mois à base de Myozyme, un médicament atténuant une partie des symptômes pour un coût de près de 500’000 francs par an. Mais estimant que le traitement revenait trop cher, la caisse-maladie n’a pas poursuivi le remboursement. Saisi par la patiente, le Tribunal fédéral a donné raison à l’assureur, notant que le traitement était d’un coût disproportionné et que son bénéfice thérapeutique n’était pas suffisant. Dans son arrêt, le tribunal a jugé comme raisonnable un montant de 100’000 par année de vie supplémentaire en bonne santé.

La solution à ce casse-tête pourrait-elle passer par l’essor des médicaments génériques? «La Suisse constitue un trop petit marché en matière de génériques, il y a une forme d’entente tacite entre fabricants», regrette Thierry Buclin, médecin-chef de la Division pharmacologie clinique du CHUV. Le clinicien évoque diverses pistes pour améliorer la situation: «Dans notre pays, il y aurait la place pour une fabrique de génériques qui serait entre les mains des citoyens, une sorte de coopérative publique. Elle pourrait en particulier produire des génériques combinés. Car la plupart des patients âgés, gros consommateurs de médicaments, souffrent de pathologies similaires: troubles cardiaques, diabète, hypertension.»



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Top 3 des médicaments les plus chers du monde

Soliris

Avec un coût annuel de plus de 400’000 francs, Soliris est considéré à l’heure actuelle comme le médicament le plus cher au monde. Commercialisé par la compagnie américaine Alexion Pharmaceuticals, il vise à soigner l’hémoglobinurie paroxystique nocturne (HPN), une forme rare d’anémie.

​Elaprase

Le laboratoire britannique Shire reclame près de 375’000 francs par an pour son médicament Elaprase. Il permet de soigner la maladie de Hunter, une affection rare liée à un déficit enzymatique qui touche seulement 2000 personnes à travers le globe.

Naglazyme

Développé par la compagnie californienne BioMarin Pharmaceuticals, ce médicament affiche un prix annuel de 365’000 francs. Il agit contre une maladie héréditaire rare du métabolisme appelée syndrome de Maroteaux-Lamy, qui se caractérise notamment par un nanisme et des déformations du squelette.