Chronique
Texte: Kerstin Uvnäs Moberg

L’ocytocine et le sentiment de bien-être

Kerstin Uvnäs Moberg est pionnière dans l’étude de l’ocytocine, dont elle a pointé les effets dans la naissance et l’allaitement. Ses recherches se sont orientées sur les bénéfices de l’ocytocine pour la santé.

En 1984, mon domaine de recherche était encore la physiologie gastro-intestinale. On m'avait invitée à un colloque organisé par la fondation Kroc, du nom du fondateur des fast-food McDonald's. Ma conférence analysait notamment un surplus d'hormones de croissance des femmes en phase d'allaitement. Un des auditeurs me fit remarquer que ce que je mesurais était peut-être l'ocytocine, une hormone qu’on connaissait pour son action dans le déclenchement des contractions à la naissance. Cette supposition m'a d’abord semblé comique, mais elle m'a permis de réaliser que l'ocytocine constituait un système complexe. Elle soutient les mères dans leurs activités maternelles, elle nous rend plus sociables, elle soulage les douleurs.

Lors d'une candidature à un poste de recherche en physiologie, j'ai mis en avant mon intérêt pour ce domaine. Je défendais l'idée qu'une femme comme moi était plus apte à étudier des phénomènes liés au bien-être et à l'interaction sociale. Lors de mes maternités, j’ai pu ressentir certains mécanismes dont je me doutais qu'ils avaient une origine biologique.

Ce champ de recherche, notamment le rapport entre les contacts corporels positifs, tels que les massages, et la baisse du stress, le reflux des réactions inflammatoires ou plus généralement la concentration de l'organisme sur la guérison, s'est révélée une mine d'or. Mes publications ont pourtant soulevé beaucoup de rejets dans les années 1980. La problématique de l'interaction sociale appartenait aux domaines de la psychologie et de la sociologie, qui ne laissaient aucun espace à la biologie. Aujourd'hui, les choses ont changé, et la biologie s'est taillé une part importante au sein de ces disciplines.

Notre peau est une interface reliée au système nerveux. Les récepteurs cutanés enregistrent la chaleur, le froid, le toucher et la douleur. Alors qu'une douleur déclenche un réflexe «lutte ou fuite», un toucher agréable et une bonne chaleur activent la réponse «calme et contact» et procurent une sensation de bien-être. Les formes de vie sociale modernes nous coupent des autres. C’est pourquoi certains adoptent un animal de compagnie ou participent à des cuddle parties (soirées câlins). Je ne crois pas beaucoup à ce type d’initiative, car tout contact non ressenti comme entièrement positif génère son inverse: le stress. On estime aussi, sans l’avoir encore mesuré, que l’écoute de sons paisibles, la vue d’un beau paysage ou des signaux olfactifs agréables libèrent de l’ocytocine.

Des pathologies sont liées à un déficit d’ocytocine. On rencontre par exemple des problèmes au niveau des récepteurs d’ocytocine chez les personnes souffrant d’un trouble autistique, ou qui ont subi des traumatismes intenses. Il pourrait être utile de leur administrer des doses d’ocytocine. On observe, chez les rats qui ont bénéficié d’injections, un surplus de sociabilité, moins d’anxiété, plus de curiosité, un effet calmant et un apprentissage facilité, même chez des individus en difficulté. Chez les humains, de nombreuses études positives à ce sujet ont aussi été publiées, mais on en reste encore à la phase des tests.



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Kerstin Uvnäs Moberg est pionnière dans l’étude de l’ocytocine, dont elle a pointé les effets dans la naissance et l’allaitement. Ses recherches se sont orientées sur les bénéfices de l’ocytocine pour la santé. Elle a publié des centaines d’articles scientifiques et des ouvrages de vulgarisation, dont L’ocytocine: l’hormone de l’amour (Le Souffle d’Or, 2015).