Chronique
Texte: Propos recueillis par Gary Drechou
Photo: DR

«Elle connaissait déjà la lettre par cœur»

Pour In Vivo, Élisabeth Pécora fait le récit d’une lettre de gratitude – dictée à la main – qui l’a bouleversée.

«Ce matin-là, je prends en charge un patient que je connais depuis quelques jours. Durant la toilette, je le perçois fermé, le visage contrarié. Je lui demande quelle est la cause de ce changement d’humeur et s’il souhaite s’en ouvrir. À ma surprise, il se met à pleurer. Il me dit que le lendemain, c’est l’anniversaire de son épouse, qu’il se sent moins que rien, nul et totalement impuissant, même pas capable de lui faire un cadeau. En être arrivé à une telle déchéance est trop difficile, me confie-t-il encore.

Je lui parle alors des bénévoles, en lui indiquant que, s’il le désire, nous pouvons leur demander de passer chercher un bouquet de fleurs qu’il aura composé, et qu’il aura ainsi un cadeau pour elle. Il acquiesce en souriant. Puis je pense à ce que j’ai lu sur les interventions de gratitude, dans un article de Mathieu Bernard, et je lui propose d’y joindre une lettre. Sachant qu’il souffre d’une dyspnée aiguë et qu’il ne peut pas l’écrire lui-même, je lui dis que je me mets volontiers à sa disposition pour être sa main. Il trouve l’idée originale et me répond: “Pourquoi pas.”

Par pudeur, je m’installe donc à côté de lui, de profil, sans que nos regards puissent se croiser, car je ne veux pas être spectatrice des émotions qu’il pourrait ressentir. Je ne suis que sa main et je désire qu’il m’oublie.

La dictée commence, mais ses premières phrases sont d’une grande banalité. Je me dis qu’il n’a pas compris. Je lui pose la main sur l’avant- bras et lui demande: “Et qu’est-ce que vous avez ressenti pour elle, la première fois que vous l’avez rencontrée? Qu’est-ce qu’elle vous a apporté durant votre vie?”

C’est moi, qui, à partir de ce moment-là, ai du mal à retenir mes larmes. Ce qu’il me dicte est si puissant. C’est un flot d’amour et de reconnaissance. J’en suis bouleversée. L’exercice est physiquement très éprouvant. Chaque émotion lui provoque une dyspnée aiguë. À plusieurs reprises, malgré les médicaments, nous devons attendre qu’il retrouve sa respiration.

Il veut aller jusqu’au bout de cette lettre, et je me dis que ses mots pèsent d’autant plus. Nous y arrivons.

Le lendemain, j’ai congé. Mais à mon retour à l’hôpital, la femme de ce patient demande à me voir. Elle a reçu la lettre et veut parler avec la personne qui l’a rédigée. Je lui explique très exactement comment les choses se sont passées, et je lui dis que je n’ai été que la main de son mari. Que ce sont ses mots à lui. Elle tient la lettre contre elle, me regarde, puis me confie qu’elle la connaît déjà par cœur. C’est le plus beau cadeau qu’il lui ait fait.

À peine une dizaine de jours plus tard, cet homme est mort. Je ne sais pas comment va son épouse, mais je sais qu’elle a accueilli cette lettre comme un trésor.»



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Infirmière au sein de l’Unité de soins palliatifs de l’Hôpital du Valais, à Martigny, Élisabeth Pécora s’est intéressée à la gratitude dans le cadre de son certificat d’études avancées (CAS) en soins palliatifs.