Chronique
Texte: Pierre-François Leyvraz, directeur général du CHUV
Photo: Philippe Gétaz

"Nous devons lutter pour une médecine humaniste"

Ayant eu mon diplôme en 1975, j’ai la conviction d’avoir été, comme mes contemporains, l’observateur privilégié d’une période extraordinaire du développement de la médecine. La science a en effet davantage progressé ces quarante dernières années, qu’au cours de tous les siècles précédents. A titre d’exemple, lorsque j’étais étudiant dans les années 1970, je lisais Le hasard et la nécessité de Jacques Monod qui affirmait alors: «L’ancienne alliance est rompue; l’homme sait enfin qu’il est seul dans l’immensité indifférente de l’Univers d’où il a émergé par hasard. Non plus que son destin, son devoir n’est écrit nulle part. A lui de choisir entre le Royaume et les ténèbres.»

Jacques Monod, au côté de François Jacob, avait emporté le prix Nobel pour avoir mis en évidence que l’ADN était le point de départ des réactions biochimiques. Nous en étions aux balbutiements de la génétique. Quelque quarante ans plus tard, il est possible de faire séquencer son génome en passant commande sur internet pour 5’000 dollars. De quoi prendre la mesure du pas quantique accompli.

Ces progrès fulgurants sont éblouissants et surtout extraordinairement bénéfiques pour la majorité des patients. Cependant, ils complexifient considérablement la prise en charge du patient et l’organisation de l’hôpital. Comment, en effet, offrir une médecine et une recherche médicale de qualité à laquelle l’Université de Lausanne et l’hôpital réfléchissent de concert en permanence, soit l’optimum de ce qui est possible (et non pas tout ce qui est possible), en tenant compte de l’environnement économique, social et culturel du patient? Comment ppliquer une médecine sophistiquée et complexe sans négliger le côté humain indispensable à son efficacité?

Car si la science a progressé de manière fulgurante, les besoins du malade, eux, sont les mêmes au XVIe siècle qu’ils le seront au XXIIe siècle. Il doit être reçu, soigné et surtout, entendu. Or le risque est grand qu’à l’heure où se développe la médecine personnalisée, où il devient réaliste que l’on soit soigné sur mesure selon son génome, la pratique de la médecine, elle, se dépersonnalise. Qu’elle perde ce qu’elle doit précisément conserver d’humanité.



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