Texte: Gary Drechou
Photo: Jeanne Martel - Service d'appui multimédia (SAM)

Le «making-of» d'un essai

Alors qu'une centaine de protocoles de recherche contre le cancer sont actuellement ouverts au CHUV, coordonnés au sein du Centre des thérapies expérimentales, Lana Kandalaft raconte le défi que représente la mise en place d’un essai clinique: le passage délicat du laboratoire au chevet du patient.

«Notre mission, c’est de transformer le plus efficacement et le plus vite possible les découvertes scientifiques en traitements médicaux», confie d'entrée la Prof. Lana Kandalaft, cheffe de service du Centre des thérapies expérimentales (CTE) du CHUV. Un mandat taillé sur mesure pour cette «accélératrice» hors pair, qui confie volontiers ne pas avoir beaucoup de patience.

Dès son arrivée à Lausanne, en septembre 2013, la Libanaise d'origine, qui dirigeait jusqu’alors la recherche au sein du Centre de recherche sur les cancers ovariens de l’Université de Pennsylvanie, aux États-Unis, s’est attelée à mettre sur pied une structure unique dans le paysage oncologique suisse. Ceci avec l'appui de celui qu'elle a côtoyé dans ce même centre et qu'elle considère comme un mentor, le Prof. George Coukos. «Les deux premières années ont été dures, concède-t-elle, mais aujourd'hui les choses bougent et nous commençons à voir les résultats de nos efforts, ce qui est très stimulant».

Passerelle translationnelle

L'équipe de Lana Kandalaft constitue l’interface entre la recherche fondamentale et la recherche clinique menées au sein du Département d'oncologie UNIL-CHUV. «C’est un pont, une passerelle entre les chercheurs qui travaillent en laboratoire et les cliniciens qui sont au plus près des patients», avance-t-elle. De par sa nature, le centre implique un dialogue permanent entre ces deux mondes, dont les experts examinent ensemble les indications pour l’administration d’un traitement et évaluent ses effets. Fort de cette culture «translationnelle», le CTE joue un rôle fondamental dans l'évolution des thérapies proposées aux malades.

«Il peut s’écouler jusqu'à 20 ans avant qu’un produit ou un traitement développé en laboratoire soit disponible pour les patients, or face à une maladie aussi redoutable que le cancer, on ne peut pas se permettre de perdre de temps», estime Lana Kandalaft.

Si l'ambition affichée du Centre des thérapies expérimentales est donc d'«accélérer le mouvement» et de «pousser les traitements innovants», même lorsque les conditions sont particulièrement propices, le passage du laboratoire au chevet des patients cache un immense et minutieux travail de préparation. Pour avoir l'espoir d'être «transformé», un essai clinique doit en effet se plier à un protocole strict et satisfaire de nombreux critères.

Questions d'éthique

La première étape consiste à convertir ce qui n'est souvent qu'un concept scientifique en processus conforme aux bonnes pratiques. «C’est le moment où, après avoir constaté des résultats encourageants en laboratoire, souvent chez des souris, ou encore après avoir pris connaissance d'études prometteuses ailleurs dans le monde, les scientifiques se tournent vers l'équipe du Centre des thérapies expérimentales afin de concevoir un protocole de recherche clinique».

Cette démarche pose toute une série de questions éthiques, la principale étant bien sûr celle de la sûreté: est-ce que le potentiel de bénéfice et d’amélioration de la qualité de vie du patient est démontré, et est-ce que ce potentiel est plus important que les risques encourus?

À partir de cette question fondamentale, un comité constitué entre autres d'un médecin, d'un scientifique, d'un biostatisticien, d'un infirmier, d'un coordinateur et d'un gestionnaire de données, évalue les tenants et les aboutissants et analyse toutes les informations disponibles avant d'amorcer la rédaction du protocole en tant que tel.

«Nous n'allons de l'avant avec un essai clinique que si le bénéfice attendu supplante le risque pour le patient.»

Afin de s'assurer de la faisabilité, le protocole doit également prévoir le déroulé des opérations dans les moindres détails, ne rien laisser au hasard. «Nous calculons tout, parfois à la minute près», confirme Lana Kandalaft, qui cite en exemple l'essai suivi ici en Immersion, où le temps entre chaque étape-clé est chronométré. L'expertise de l'équipe de Kim Ellefsen-Lavoie, directrice des opérations du Centre des thérapies expérimentales, mais aussi celle du personnel soignant, sont indispensables: «Ils vont pouvoir nous dire si un patient, par exemple, pourra être déplacé dans les délais requis par le protocole, ou si le temps alloué à la préparation avant une intervention est réaliste».

Enfin, lorsque le protocole est jugé sûr et faisable, le troisième défi est celui de l'efficacité. Les biostatisticiens jouent alors un rôle-clé: «Ils nous aident à optimiser le protocole de façon à ce que nous puissions rebondir rapidement si, malgré tout ce que nous avons anticipé, quelque chose ne se passe pas comme prévu. L'objectif est de dégager des marges de manœuvre qui nous permettront, le cas échéant, d’être plus réactifs et efficaces.»

Sur la ligne de départ

Lorsque le protocole a pris forme et que le comité scientifique du Département d'oncologie estime qu'il répond aux trois critères de sûreté, de faisabilité et d’efficacité, il est soumis aux autorités.

Les équipes de Laetitia Rossier, responsable des affaires réglementaires, et de Silvia Martin Lluesma, de l'unité de recherche clinique, préparent un dossier destiné à l’Institut suisse des produits thérapeutiques Swissmedic, qui comprend en général une dizaine de documents, du protocole lui-même aux formulaires de consentement, en passant par la description de la fabrication du produit étape par étape, les formulaires de rapports de cas et le plan de surveillance. Outre le fait de pouvoir s'appuyer sur ces équipes capables de rédiger des protocoles complexes, la force du Centre des thérapies expérimentales tient aux équipes d'Emanuela Marina Iancu, responsable assurance qualité, et de Philippe Gannon, responsable du développement des processus pour l'unité de traitement des tumeurs et l'unité oncologique de production cellulaire, qui fabriquent le produit en accord avec la supervision clinique.

Le CHUV s'est doté d’un laboratoire de production cellulaire pour l’immunothérapie, grâce à un crédit de 18,5 millions de francs accordé en 2014 par le Grand Conseil vaudois pour sa construction. Inaugurée en septembre 2016, cette installation située au rez-de-chaussée du bâtiment du Biopôle 3 à Épalinges est essentielle pour favoriser l'innovation clinique (photos Matthieu Gafsou).

Une fois le dossier déposé, Swissmedic prend entre 30 et 60 jours, avec parfois des allers et retours, pour passer l'ensemble de ces documents au peigne fin, avant de se prononcer. Le protocole est également soumis à la Commission cantonale d'éthique de la recherche sur l'être humain, qui se concentre plus particulièrement sur les enjeux liés au consentement des patients.

Si et seulement si ces deux instances donnent leur feu vert, l’essai peut — finalement — débuter. Chaque patient qui souhaite y participer est informé et conseillé par un oncologue spécialiste de référence, avant d'être accompagné tout au long du processus de consentement. Dans le cas de l’essai clinique de phase I qui nous occupe, ouvert aux patients avec un mélanome métastatique, c’est à cette étape que nous entrons véritablement en Immersion. /



Profil

Lana Kandalaft a rejoint le Département d’oncologie UNIL-CHUV en 2013, où elle a mis en place le Centre des thérapies expérimentales (CTE). Elle a obtenu un doctorat en pharmacie et un doctorat en biologie cellulaire et thérapeutique en Grande-Bretagne. avant de rejoindre la section de biologie cellulaire et cancer au National Cancer Institute, aux États-Unis, où elle a complété son cursus post-doctoral et s’est établie en tant que chercheuse dans la biologie des cellules cancéreuses. Elle a notamment dirigé la recherche au sein du Département clinique et translationnel au Centre de recherche sur les cancers ovariens de l’Université de Pennsylvanie. L’objectif du groupe de recherche de la Prof. Kandalaft consiste à optimiser l’ensemble des vaccins contre le cancer. Le but est d’élaborer des vaccins personnalisés contre le cancer grâce à l’ingénierie génétique. Les recherches se concentrent également sur l’établissement de vaccins personnalisés en clinique.

79

/

Nombre d'études cliniques en cours au CHUV et aux HUG dans le domaine de l'oncologie, selon le site du Réseau romand d'oncologie.

180

/

Nombre de pages du protocole de recherche clinique que nous suivons dans le cadre de cette série Immersion.

65

/

Nombre de collaborateurs du CHUV formés spécifiquement pour cet essai clinique de phase I.

Les 4 phases possible d'un essai clinique

Phase I

Cette phase vise à tester la tolérance du traitement. Les effets de sa diffusion dans le corps sont observés (l'absorption, la distribution et la transformation par l'organisme). Entre 20 et 80 volontaires sont recrutés.

Phase II

Cette phase vise à tester la sécurité et l'efficacité du traitement. La définition de la dose est établie et les effets secondaires relevés. Cette phase est aussi appelée "étude pilote". Entre 100 et 300 patient-e-s sont recruté-e-s.

Phase III

Lors de cette phase, les résultats du médicament et/ou de la technique sont comparés avec le-les traitement-s de référence actuel-s (ou placebo). Cette phase est aussi appelée "étude pivot". Entre 1'000 et 3'000 patient-e-s sont recruté-e-s.

Phase IV

Le médicament et/ou la technique sont disponibles sur le marché. Un suivi rapproché du médicament et/ou de la technique ainsi que des patients est maintenu. Cette phase est aussi appelée "post-marketing".

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