Interview
Texte: Julie Zaugg
Photo: Sam Ogden / Science Photo Library

George Church: «Ces données n’ont de valeur que parce qu’elles sont mises en commun»

Le généticien George Church est à l’origine de l’un des travaux scientifiques les plus ambitieux jamais tentés: le séquençage du génome humain. Il explique les 
bénéfices qui peuvent être tirés d’un tel projet de recherche participative.

IN VIVO Outre la prouesse scientifique, qu’est-ce que le Human Genome Project, achevé en 2003, a permis d’accomplir?
George Church Il nous a fourni un génome de référence. Mais rétrospectivement, ce n’est pas ce dont nous avions besoin. Il nous fallait une vaste quantité de profils génétiques, pour pouvoir les comparer entre eux et étudier comment ils interagissent avec l’environnement de différentes personnes. C’est l’objectif du Personal Genome Project, lancé en 2004.

IV Parlez-nous de ce projet...
GC Cette base de données unique au monde a démarré à Boston. Elle regroupe aujourd’hui les profils génétiques de 3’000 personnes, issues de quatre pays. Parmi celles-ci, 200 ont livré des séquences de génome complètes. Mais nous anticipons une rapide augmentation de ce nombre, grâce à la baisse spectaculaire du coût du séquençage génétique (moins de 1’000 francs, ndlr). Chacun peut participer: il suffit de livrer son ADN, assorti idéalement de son dossier médical. Tout cela est ensuite mis en ligne sur une plateforme ouverte à tous, ce qui permet aux chercheurs du monde entier d’y accéder.

IV Que va-t-on faire de toute cette information?
GC Le but principal est de développer des protocoles de conseil et de suivi pour les patients porteurs de certaines mutations génétiques qui les prédisposent à développer une affection grave, comme la maladie de Tay-Sachs (une maladie neurodégénérative, ndlr) ou certains cancers du sein. On peut, par exemple, étudier les effets probables pour une personne de faire un enfant avec telle autre personne, recommander certains tests à la naissance du bébé et dresser le profil des aliments qui lui sont interdits.

IV Et sur le plan de la recherche, quelle est l’utilité de cette immense quantité de données?
GC On peut s’en servir pour étudier la progression des maladies génétiques et apprendre à mieux les connaître. Nous avons développé une nouvelle technologie, appelée CRISPR, qui permet d’introduire une mutation ‒ une fois qu’on l’a identifiée comme la cause probable d’une maladie ‒ dans l’ADN d’un petit groupe de cellules humaines, appelé un organoide. On va ensuite pouvoir étudier ses effets sur les cellules et obtenir ainsi une meilleure connaissance de la maladie.

IV Peut-on imaginer à terme développer des médicaments qui ciblent spécifiquement ces mutations?
GC Bien sûr. Plus de 2’000 thérapies géniques sont actuellement en phase de test clinique. L’une d’entre elles, le Glybera (destiné aux patients qui ont une mutation génétique les rendant plus sujets aux pancréatites, ndlr) a même déjà été approuvée en Europe. Ces thérapies géniques représentent la personnalisation ultime en médecine: elles agissent en modifiant l’ADN à l’intérieur des cellules, pour le rendre conforme à celui d’une personne «saine», voire même supérieur à la normale.

Lorsqu’ils acceptent de fournir leurs données, les patients sont conscients qu’ils ne pourront plus contrôler qui y a accès et ce qui en est fait.

IV Et pour les patients qui ont fait don de leurs données génétiques au Personal Genome Project, quels sont les bénéfices directs?
GC Nous les informons si nous trouvons des indications dans leur génome les prédisposant à une maladie. Mais il faut savoir que seul un très petit nombre de maladies peuvent être prédites ainsi et que, parmi elles, un nombre encore plus restreint peut être traité ou prévenu.

IV En acceptant de mettre toutes leurs données en ligne, ces gens renoncent en quelque sorte au secret médical, non?
GC Cela fait partie des conditions de base du Personal Genome Project. Lorsqu’ils acceptent de fournir leurs données, les patients sont conscients qu’ils ne pourront plus contrôler qui y a accès et ce qui en est fait. Nous faisons très attention à obtenir un consentement éclairé de leur part à ce sujet. Nous évitons en outre de leur faire de fausses promesses: en cas de vol de ces données, par un hacker par exemple, il serait très facile de les décoder et de ré-identifier leur source.

IV Ce n’est pas dangereux?
GC Personne n’est à l’abri aujourd’hui de ce genre de mésaventure. Il n’y a pas si longtemps l’administration des vétérans, aux Etats-Unis, a perdu dans la nature les dossiers médicaux de 26 millions de personnes. Mais l’introduction de lois qui interdisent la discrimination, par un employeur ou un assureur par exemple, sur la base des données génétiques de quelqu’un ‒ comme celle adoptée par les Etats-Unis en 2008 ‒ a rendu la question moins sensible.

IV Qui possède les données mises en ligne via le Personal Genome Project?
GC Les participants peuvent en tout temps accéder à leurs données et en demander une copie. Mais elles sont en parallèle mises à la disposition des chercheurs du monde entier, qui peuvent en faire ce qu’ils veulent sans demander leur autorisation. Elles appartiennent donc à tout le monde.

IV Ne faudrait-il pas rémunérer ceux qui font don de leur matériel génétique?
GC Certaines choses n’ont de valeur que lorsqu’elles sont mises en commun et partagées librement. Qu’on songe à l’information contenue dans l’encyclopédie en ligne Wikipedia. Or, si on se mettait à rémunérer la fourniture de ces informations, on se retrouverait avec une multitude de bases de données payantes, ce qui rendrait un tel partage impossible.



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Un pionnier de la génomique

Professeur de génétique à la Harvard Medical School, l’Américain George Church est mondialement reconnu comme étant un pionnier du séquençage du génome. Il démarre en 1990 le Human Genome Project. Sitôt cet inventaire des gènes composant l’humain dressé, George Church s’est attelé au Personal Genome Project. Début 2013, le chercheur a fait la une de la presse internationale en présentant une autre ambition: cloner l’homme de Neandertal.