Interview
Texte: Propos recueillis par Robert Gloy
Photo: Rémi Clément

«Connaître le génome d'une personne donne du pouvoir»

Connaître son génome peut créer des peurs, car il contient des indices sur nos futures maladies. Le bioéthicien Ralf Jox donne des pistes pour vivre avec ces informations et explique les enjeux sociétaux du séquençage de l’ADN.

En quoi l’ADN est-il un élément majeur d’un être humain?

Connaître son génome est intéressant à deux niveaux notamment. Premièrement, il dit énormément de choses sur nous-mêmes. On peut y déceler des signes annonciateurs d’une future maladie ou identifier la cause d’une maladie existante. La constitution de notre ADN pourrait révéler des informations sur notre personnalité. Deuxièmement, nos gènes livrent également des indices sur nos apparentés, car nous partageons une part importante de notre ADN avec eux.

Il y a encore beaucoup d’appréhension du côté du grand public vis-à-vis du séquençage du génome à des fins médicales. D’où viennent ces craintes?

Les inquiétudes sont surtout la conséquence d’un manque de connaissances. Il y a aujourd’hui beaucoup de fausses idées sur ce que le génome peut révéler sur nous-mêmes. Il ne faut pas oublier que le sujet est relativement nouveau. Il existait certes des discussions autour du potentiel de séquençage du génome depuis les années 1980, mais c’est seulement depuis les années 2000 que la technologie est devenue à la fois plus efficace et plus accessible et qu’elle est discutée par le grand public.

Comment un patient doit-il réagir lorsqu’un séquençage de son génome révèle des prédispositions à développer certaines maladies graves?

Il est important de savoir que nous portons tous des prédispositions à des dizaines de maladies en nous. S’ensuivent alors de nombreuses questions comme: que doit-on faire avec une probabilité élevée de développer une maladie pour laquelle il n’existe pas encore de traitement – comme la maladie d’Alzheimer – ou même sans possibilité d’intervenir de manière préventive? Cela peut créer des angoisses. Dès lors, il faut établir un cadre d’accompagnement professionnel, à la fois psychologique et médical. En effet, une prédisposition au développement d’une maladie ne signifie pas qu’elle va réellement évoluer. En parallèle, il est impossible d’éviter à 100% le développement ou la propagation d’une maladie, même si une personne adopte un style de vie très sain. Le plus important est de ne pas tomber dans le piège d’une panique permanente.

Plus de 25 millions de personnes ont déjà fait analyser leur ADN par l’entreprise américaine 23andme. Comment interprétez-vous ce phénomène?

Tout d’abord, il faut savoir que cette société privée ne fait pas un séquençage du génome entier, mais une analyse ciblée de quelques parties de l’ADN. Ainsi, elle propose aux particuliers de connaître leurs origines ethniques ou de montrer des prédispositions à certaines maladies, comme celle de Parkinson. C’est surtout ce deuxième aspect qui me rend sceptique. À l’heure actuelle, il n’existe aucun moyen de guérir cette maladie. Il est difficile pour un particulier de savoir ce qu’il doit faire lorsqu’il reçoit une telle information de 23andme. Concernant le succès de cette entreprise, j’estime que cela reflète l’air du temps.

Nous vivons dans un monde complexe et pluraliste. Connaître davantage son ADN permet de trouver un certain sens et de se donner une identité.

La preuve: les gens partagent volontiers les aspects liés à leurs origines ethniques sur les réseaux sociaux.

Pourquoi le partage de ces informations avec un tiers est-il dangereux?

Connaître le génome d’une personne donne un pouvoir sur elle: on saura beaucoup de choses sur son état actuel et sur son avenir. Naturellement, de telles informations peuvent intéresser des acteurs comme l’État, les employeurs ou les assurances, qui pourraient ainsi choisir les meilleurs profils correspondant à leurs besoins. En même temps, le potentiel thérapeutique du séquençage de l’ADN est énorme. Il appartient aux législateurs d’installer les garde-fous nécessaires afin de limiter l’accès à ces données très sensibles.

Comment peut-on éviter que les assurances maladie exploitent ces données pour pénaliser les personnes ayant des prédispositions à certaines maladies graves?

Aujourd’hui déjà, les assurances proposent des bonus pour les clients qui font beaucoup de sport ou qui portent des capteurs pour compter les pas ou mesurer la tension artérielle. À partir du moment où il y aura une possibilité technologique et légale de baser le niveau des primes sur certaines prédispositions génétiques, elles voudront le faire. Tout dépendra alors du cadre dans lequel de telles pratiques seront possibles. Par exemple, il sera imaginable d’autoriser le recours aux analyses d’ADN dans les cas d’antécédents dans la famille de l’assuré ou en présence de certains symptômes pathologiques. Toutes les parties de l’ADN qui donnent des indications sur la personnalité ou le comportement de l’assuré devraient toutefois rester inaccessibles.

Comment voyez-vous l’avenir de notre système de santé?

Notre système actuel repose sur l’hypothèse que tout le monde peut tomber malade à tout moment. Nous acceptons d’être solidaires avec nos concitoyens parce que nous savons que nous pouvons être dans le besoin à un moment donné de notre vie. Que se passe-t-il si une majorité de la population laisse séquencer son ADN pour mieux anticiper le développement de certaines pathologies? Ces personnes-là vont-elles reprocher aux malades de ne pas avoir fait de test ADN ou de ne pas avoir assez fait pour éviter le développement de la pathologie? Cela peut effectivement déstabiliser notre système basé sur la solidarité.

Une solution?

Il faut baser la solidarité sur les besoins fondamentaux que nous partageons, indépendamment de la responsabilité que nous portons bien-sûr pour nos actes et comportements.

Certes, le système de santé doit se concentrer plus sur la prévention – entre autres pour rendre ce système économiquement durable –, mais la médecine personnalisée de demain doit absolument regarder au-delà des gènes et garder la compréhension et la compassion pour la personne qui est malade et qui souffre.



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Ralf Jox est bioéthicien, neurologue et spécialiste en soins palliatifs. Professeur associé au CHUV, il est actif au sein de l’Institut des humanités en médecine ainsi que de l’Unité d’éthique clinique et il codirige la chaire de soins palliatifs gériatriques. En mai 2019, il a été nommé membre de la Commission nationale d’éthique par le Conseil fédéral. Ses activités de recherche portent sur l’éthique en fin de vie, le projet de soins anticipé, l’éthique clinique et la neuroéthique.