Interview
Texte: Yann Bernardinelli
Photo: Gilles Weber

«Transférer un embryon est quelque chose de magique»

Nicolas Vulliemoz évoque sa vision de la médecine reproductive et analyse les nouveaux défis d’une pratique qui mêle éthique, technologies et rapports humains.

IV / Qu’est-ce qui vous a conduit à la médecine reproductive?

NV / C’est un stage Erasmus à Bristol (GBR) qui m’a précipité dès la quatrième année de médecine dans la gynécologie-obstétrique. Un professeur très expérimenté et proche de la retraite qui avait participé aux premiers essais de fécondations in vitro avec celui qui l’a mise en place, le Prix Nobel Robert Edwards, m’a totalement captivé. La procréation médicalement assistée (PMA) est vite devenue une véritable passion, qui s’est avérée plus que fidèle à mes attentes. Le mélange des technologies et des rapports humains rend ce métier incroyablement vivant. Recevoir une photo du bébé de nos patients n’a pas de prix!

IV / Comment vivez-vous le fait que la PMA soulève beaucoup de questions éthiques et soit loin d’être approuvée à l’unanimité?

NV / C’est un des intérêts de mon travail, ça le rend encore plus intéressant. Je le vis très bien, car transférer un embryon restera toujours quelque chose de magique. Je respecte l’avis des gens, mais il faut être contre pour les bonnes raisons. Les raisons religieuses en sont une, une mauvaise compréhension des traitements ne devrait pas. Je ne suis pas là pour vendre, mais pour proposer des options médicales à des situations d’infertilité. Il faut savoir dé-mystifier un certain nombre d’aspects liés à la PMA et accepter les opinions.

IV / La loi suisse évite suffisamment les dérapages éthiques?

NV / Tout à fait, la LPMA (Loi sur la procréation médicalement assistée) est une bonne chose et limite les abus. Le cadre suisse reste strict, même avec la nouvelle loi. Dans notre unité, des colloques sont en place pour discuter des questions éthiques et légales. Il arrive que nous devions refuser des traitements si, après une évaluation multidisciplinaire, nous estimons que les parents ne seront pas à même d’élever leur enfant jusqu’à la majorité, car c’est dans la loi.

IV / La PMA n’est-elle pas une médecine business qui exploite à souhait le désir de fécondité des couples?

NV / Oui, c’est le risque. Comme la LAMal et les complémentaires ne remboursent pas la FIV, les patients peuvent effectuer les traitements où ils veulent. De plus, c’est une activité qui s’est beaucoup développée dans le privé, à tel point que les gens ne savent pas forcément qu’elle se pratique également dans les hôpitaux universitaires. Ceux-ci sont essentiels pour la recherche et la formation ainsi que pour l’approche éthique.

IV / Les coûts sont-ils les mêmes?

NV / Oui, il faut compter entre 8’000 et 10’000 francs pour un cycle de FIV, les prix sont à peu près les mêmes dans les différents centres en Suisse. Les stimulations ovariennes (12 mois) et trois inséminations sont remboursées jusqu’à l’âge de 40 ans.

IV / Pensez-vous qu’un jour les assurances rembourseront?

NV / Je l’espère, car les prix sont une véritable barrière aux traitements. A mon avis, elles rembourseront un jour, mais selon des critères stricts d’âge, de poids et de tabagisme par exemple.

IV / Entreprendre un traitement n’est pas anodin. Prenez-vous en compte le soutien des patients lors des traitements?

NV / Oui, c’est extrêmement important. La LPMA spécifie d’ailleurs qu’il doit y avoir une assistance psychologique. Ici, notre unité a mis en place des infirmières spécialisées et des psychologues. Tous nos patients sont adressés à ces spécialistes. Le plus grand échec pour la médecine reproductive est que des patients ayant effectué des traitements sans succès n’aient pas été accompagnés suffisamment.

IV / On entend beaucoup parler de la congélation d’ovocytes dans les médias, elle est entre autres financée par Facebook pour leurs employés carriéristes. Avez-vous des demandes de congélation d’ovocytes par choix personnel?

NV / Oui, c’est la réalité des sociétés modernes. Nous avons beaucoup de demandes, mais nous ne voulons pas que cela devienne un business pour autant. Nous évaluons la pertinence et n’hésitons pas à refuser les cas où les bénéfices du traitement sont trop faibles. Par exemple, à 44 ans c’est inconcevable!

IV / Les enfants de la PMA sont-ils plus fragiles?

NV / Près de quarante ans après le premier bébé-éprouvette, il existe assez de recul et d’études sérieuses pour connaître les conséquences à long terme d’une naissance par PMA. Au niveau cognitif, il n’y a aucune différence. Par contre, un risque augmenté de développer certaines malformations du cœur ou des voies urinaires est observé. Ces malformations sont néanmoins rares et leurs causes ne sont pas connues avec précision.⁄



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Nicolas Vulliemoz

Un expert en reproduction Nicolas Vulliemoz est le médecin responsable de l’Unité de médecine de la reproduction depuis avril 2015. Il a développé au CHUV une consultation multidisciplinaire d’endométriose qui permet un suivi individualisé des patientes. Il coordonne également le Réseau romand de cancer et fertilité, qui aide les patients suivant un traitement oncologique à préserver leur fertilité. Nicolas Vulliemoz a auparavant travaillé à l’Hôpital cantonal de Fribourg, à l’Université de Columbia (USA) et à l’Université d’Oxford (UK).