Interview
Texte: Propos recueillis par Erik Freudenreich
Photo: DR

Daniel Javitt: «Nous devons mieux prêter attention à la manière dont les patients perçoivent le monde»

Daniel Javitt s’intéresse de longue date au fonctionnement du cerveau. L’unité qu’il dirige à l’université Columbia étudie notamment les effets de la glycine pour contrer certains troubles de la perception.

IN VIVO Est-il exact que l’un de vos axes de recherche principaux porte sur la perception?

DANIEL JAVITT Je m’intéresse à la perception avant tout du point de vue de la schizophrénie. Mon travail est basé sur ce que l’on appelle les récepteurs N-méthyl-D-aspartate (NMDA), qui se trouvent entre autres au niveau des cortex visuels et auditifs.

Nos études mettent en évidence un disfonctionnement de ces récepteurs en lien avec certains troubles de la perception comme la schizophrénie. Les personnes affectées expliquent souvent que le monde leur apparaît comme brisé en mille morceaux, que les choses vont trop vite. Pendant longtemps, les chercheurs et les psychiatres ont ignoré ces remarques, car ils pensaient que la psychose schizophrénique impliquait uniquement le cortex frontal et les récepteurs de la dopamine. Mais une fois que l’on fait le lien entre la pathologie et les récepteurs NMDA, les remarques des malades deviennent logiques. De manière générale, nous ne prêtons pas assez d’attention à la manière dont un patient souffrant de troubles mentaux perçoit son environnement.

IV Pourquoi vous êtes-vous penché sur la pathologie schizophrénique?

DJ A l’époque où je terminais mes études de médecine, les Etats-Unis connaissaient de graves problèmes avec le PCP, une drogue synthétique qui est devenue le sujet de ma thèse de doctorat. Curieusement, les personnes sous l’effet de ce produit affichent les mêmes symptômes que les patients atteints de schizophrénie. Le fait de pouvoir reproduire les effets de la schizophrénie en prenant une substance chimique signifiait qu’il y avait un problème très basique derrière la pathologie. Nous avons par la suite pu identifier un disfonctionnement en lien avec les récepteurs NMDA, qui sont essentiels à le mémoire et aux connections neuronales. D’où l’idée qu’en stimulant ces récepteurs, notamment à l’aide de glycine, nous pourrions traiter les troubles schizophréniques.

Daniel Javitt est à la pointe de la recherche mondiale en matière de nouveaux traitements contre les troubles mentaux graves.

IV Les personnes souffrant de schizophrénie peuvent être victimes d’hallucinations auditives. Pour quelle raison?

DJ Il faut retourner la question. Pourquoi les personnes saines n’ont-elles pas d’hallucinations en temps normal? Car si vous prenez un sujet qui n’est pas schizophrène et que vous le placez dans un containeur étanche qui élimine tous les sons, il va aussi commencer à entendre des hallucinations. En fait, c’est le flux constant d’informations venant de l’extérieur qui nous permet de ne pas sombrer dans nos pensées et d’entendre ces voix. Ce qui est intéressant, c’est qu’en analysant l’imagerie cérébrale d’une personne schizophrène lors d’une hallucination auditive, vous allez voir s’activer les régions du cerveau qui ont trait au langage. Il ne s’agit pas seulement d’un problème cognitif, mais également sensoriel. Le cerveau d’un schizophrène réagit comme s’il percevait véritablement des voix.

IV Qu’en est-il des illusions d’optique?

DJ C’est une question que nous étudions depuis longtemps. En effet, ces illusions provoquent différentes réactions au sein du cerveau. Une partie de nos patients réagit normalement, mais d’autres se montrent très sensibles à certains effets d’optique. L’illusion dite de la grille d’Hermann est celle qui leur pose le plus de problèmes. Normalement, vous êtes sensé voir apparaître des points gris entre les lignes de la grille, car votre cerveau essaye de coller ensemble les pièces du puzzle. Ce n’est pas le cas chez certains schizophrènes. Car les interconnexions neuronales qui permettent de voir ces points ne sont pas opérationnelles. Leur perception de la grille correspond pour ainsi dire à la réalité.

IV Combien d’années nous séparent d’une bonne compréhension de notre cerveau?

DJ Nous ne pourrons jamais totalement comprendre son fonctionnement. Mais nous possédons aujourd’hui déjà de nombreux d’outils qui nous permettent d’analyser et de mesurer bien des fonctionnalités importantes. Prenez mon travail ou celui de mon collègue lausannois Micah Murray sur ce que l’on appelle la négativité de discordance. Il s’agit-là d’une onde qui traduit un changement de stimulus dans le cerveau. Par exemple, si vous habitez à la campagne, vous allez automatiquement faire attention au fait que les oiseaux s’arrêtent soudainement de chanter. C’est une fonction codée dans notre cerveau très importante pour la survie dans un environnement hostile. Nous avons pu démontrer que cette fonctionnalité est produite par les récepteurs NMDA au niveau du cortex auditif.

Notre défi consiste à permettre aux patients d’activer les automatismes dont ils ne disposent pas actuellement. Un aspect important lié aux récepteurs NMDA qui fait souvent défaut aux schizophrènes, concerne par exemple la maîtrise de la lecture. Si nous arrivons à réparer cette carence, notamment grâce aux traitements à base de glycine que nous étudions en ce moment, nous aurons fait un grand pas pour redonner une vie sociale et professionnelle aux patients.



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​Un spécialiste de la schizophrénie

Diplômé en neurosciences et en psychiatrie, l’Américain Daniel C. Javitt est à la pointe de la recherche mondiale concernant de nouveaux traitements contre les troubles mentaux graves. Il dirige la division de thérapie expérimentale au sein du département de psychiatrie de l’université Columbia à New York. Il est par ailleurs le directeur de recherche en matière de schizophrénie de l’institut Nathan Kline, également basé à New York.