Interview
Texte: Propos recueillis par Antoine Bal
Photo: Jeanne Martel - Service d'appui multimédia (SAM)

«Il y a à l'hôpital une vraie puissance d’humanité»

Dans un an, Caroline de Watteville prendra sa retraite. La chargée des activités culturelles du CHUV raconte son long engagement pour ce supplément d’âme qu’est l’art dans un hôpital.

Comment devient-on la «Madame Culture» du CHUV?

Je suis arrivée au CHUV en 1991 comme secrétaire, un travail alimentaire qui m’avait servi dans le passé à financer ponctuellement mes études d’histoire de l’art à Florence, en Italie. J’étais à la recherche d’un poste en Suisse, après avoir été plusieurs années indépendante à Florence, où j’ai entre autres enseigné l’histoire de l’art dans une université américaine et travaillé pour la Fondation Thyssen-Bornemisza. Mon rêve était de trouver une place dans un musée. Peu de temps après mon arrivée au CHUV, le poste de responsable des expositions a été mis au concours à la suite du départ de la titulaire. La Direction a sollicité ma candidature. Je tombais des nues, parce que je ne connaissais en rien la question de la culture à l’hôpital. L’impulsion est venue de l’Unesco, qui, depuis la fin des années 1980, œuvrait largement pour développer une politique culturelle en milieu hospitalier. Leurs colloques et publications m’ont permis de saisir l’importance des enjeux visant le respect du patient dans sa dimension sociale, culturelle et spirituelle. Cette dimension éthique m’a décidée à m’investir sur le long terme. Tout était déjà en place au CHUV depuis 1983, à l’ouverture du bâtiment principal. Une commission culturelle existait. En somme, on m’a proposé de professionnaliser ce poste.

Dans quelle direction avez-vous développé cette fonction?

Cela n’a pas été simple, car ce n’est naturellement pas prioritaire en regard de la recherche et de la santé, d’autant que l’hôpital a connu de grandes crises budgétaires.

Il a fallu défendre cette approche, convaincre, gagner la confiance des artistes avant tout, puis faire comprendre cette ligne en interne.

Mais j’ai assez rapidement trouvé l’appui indéfectible de la commission culturelle. Et nous avons recruté au fil du temps des membres engagés. Principalement soignants, médecins, professeurs d’éthique et d’histoire de la médecine, mélomanes, sensibles à l’art contemporain et impliqués dans la vie culturelle de la région. Cette commission est fondamentale, en ce sens qu’elle valide et appuie mes projets. Ensemble, nous partageons la responsabilité de savoir si une œuvre pourra ou non passer dans le contexte particulier de l’hôpital. Avec cette expertise, on est plus libre et donc plus audacieux. Et nous avons pu tisser de précieux partenariats avec Musique & Médecine, la Fondation Alice Bailly, la Haute École de Musique de Lausanne (HEMU), le Théâtre Vidy-Lausanne et plus récemment la Fondation Payot pour la promotion de la lecture.

Comment qualifieriez-vous votre politique culturelle?

Mon critère est avant tout la recherche de la qualité, avec à la base l’idée que l’Hôpital universitaire est un lieu académique, un lieu d’excellence, qui se doit de défendre une culture à son image.

J’aurais trouvé éthiquement très regrettable d’apporter dans ce lieu de vie une culture au rabais.

Par contre, elle ne doit pas être invasive, elle accompagne le patient, est à disposition sans s’imposer. L’art est un espace de liberté. Il est aussi présent dans les services grâce aux œuvres de la Collection du CHUV.

L’hôpital, que représente-t-il pour vous?

Un lieu tout à fait exceptionnel. C’est la seule institution académique qui me semble imbriquée dans la vie de cette manière. Il y a là une vraie puissance d’humanité, un espace éthique, carrefour vivant des débats de société. Un cosmopolitisme généralisé, toutes générations confondues. Une indispensable solidarité entre les différents métiers, aussi. Et le hall du CHUV est une rue, qui a ses magasins, sa poste, son fleuriste. C’est le poumon de l’hôpital, la place de la cité hospitalière. C’est une institution à laquelle on s’attache très vite.

Pour une passeuse de culture, que permet-il de singulier en termes de médiation?

C’est un lieu stratégique de communication. Mais ce n’est pas un laboratoire, à la différence du white cube, ce dispositif scénique privilégié par les galeries et musées d’art contemporain.

Ici, le public est prioritaire, car il est aux prises avec les grandes questions de la vie et souvent dans la détresse.

Notre travail se situe au point de rencontre entre la raison, la science, le technologique, le médical, et un lieu traversé par l’émotion et l’irrationnel. C’est pour cela que l’art y a toute sa place, car l’art exprime le non-dicible. L’art constitue un pont.

Votre credo est le lien entre l’art et la science.

Oui, la particularité de mon poste est d’être lié à la communication scientifique. C’est un atout considérable. Nous invitons les experts du CHUV à la pointe de l’actualité scientifique dans le cadre des Rencontres arts et sciences afin de faire converger les perspectives musicales, littéraires, visuelles et médicales autour d’un thème. Car l’art participe à la connaissance. Je peux ainsi faire dialoguer l’art contemporain avec la médecine et l’éthique. Cette année, le thème est «Identité, altérité, métamorphoses». Il est question du rapport à soi-même et aux autres et des défis apportés par les développements techniques et scientifiques en médecine. Les expositions de Jean Crotti & Jean-Luc Manz et de Camille Scherrer sont accompagnées de concerts de l’HEMU et sont liées à une soirée de conférences sur l’humain augmenté et les neuroprothèses avec les professeurs Philippe Ryvlin, Jocelyne Bloch et Grégoire Courtine, ainsi que le photographe Matthieu Gafsou, dont le récent travail sur le transhumanisme a un écho international.

Qu’est-ce que votre parcours au CHUV vous a apporté de plus important?

Le sentiment d’utilité. La dimension citoyenne et l’engagement. Après avoir écrit une thèse et travaillé plusieurs années dans des domaines assez pointus, cette implication dans la vie de tous les jours et les témoignages reçus en retour ont nourri ma motivation.

Mon cursus m’a d’autant plus permis de mesurer le privilège d’avoir un travail en phase avec mes valeurs sans être hors sol!

Ici au CHUV, on lie la force de la culture, de l’art et la force du terrain, de la vie. Parce que la culture aide à vivre.

Comment imaginez-vous l’évolution de ce poste?

La bonne nouvelle est que mon poste est reconduit. Il sera au concours l’été prochain. La personne qui me succédera apportera sa vision avec le renouveau que cela suppose et c’est très bien. Les outils en place sont extraordinaires, surtout la commission culturelle, qui sera toujours essentielle pour la suite.

La suite, à quoi va-t-elle ressembler pour vous?

Je prendrai ma retraite en mai 2020. J’ai encore de nombreux événements à réaliser ainsi qu’une publication pour les 10 ans de nos Rencontres arts et sciences. Après, j’ai différents projets en vue encore à confirmer et surtout une envie, avoir plus de temps pour lire.



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Ci-dessus:

Caroline de Watteville devant les œuvres de Jean-Luc Manz (à gauche) et Jean Crotti (à droite) exposées dans le hall du CHUV au printemps 2019.

Pourquoi l’art et la culture à l’hôpital? Comment? Le CHUV a une expérience de 25 ans dans ce domaine. La plaquette L'art et la culture au CHUV - 25 ans d'une activité pionnière, publiée en 2009 sous la direction de Caroline de Watteville, en trace les grandes lignes.