Tendances
Texte: Julien Crevoisier

« Les immunothérapies ont changé la donne »

La lutte contre le cancer de la peau a connu une avancée remarquable ces dernières années. L’oncologue néerlandais John Haanen y a largement contribué en développant une méthode innovante.

« Lorsque j’ai entrepris mes premières recherches, la seule thérapie disponible pour combattre le mélanome en phase métastatique était la chimiothérapie, avec des résultats très mitigés, explique John Haanen, chercheur en oncologie. Seuls 10% des patients voyaient leur situation s’améliorer, avec des signes de rémission temporaire et dans de très rares cas une rémission complète. Mais depuis, la donne a radicalement changé. »

Après plus d’un quart de siècle de recherche sur la lutte contre le cancer, de la peau principalement, aux stades avancés, le professeur, qui a rejoint au printemps 2023 le Service d’oncologie du CHUV, se réjouit des progrès considérables dans l’efficacité des traitements.
Au début des années 2010, les premières formes d’immunothérapie misaient sur l’activation des cellules immunitaires pour détruire les cellules cancéreuses
et affichaient des résultats surprenants. Au début des années 2010, les premières formes d’immunothérapie font leur apparition. Contrairement à la chimiothérapie, ce traitement ne vise pas à inhiber la réplication des cellules, mais à permettre au système immunitaire de mieux reconnaître les cellules cancéreuses et les détruire.

Pour passer entre les mailles du filet immunitaire, les cellules cancéreuses développent plusieurs mécanismes, dont celui qui consiste à imiter des cellules saines et ainsi tromper les récepteurs (dénommés « points de contrôle »).
En injectant une molécule capable de bloquer ces récepteurs qui permettent aux cellules cancéreuses d’avancer masquées, l’immunothérapie par inhibiteurs de points de contrôle aide le système immunitaire à reconnaître les cellules défaillantes.

Depuis l’introduction de ces traitements au début des années 2010, le taux de survie à cinq ans des patientes atteintes de mélanome de stade IV (le stade métastatique) est passé de 5% à près de 50%. « Les résultats sont saisissants. Il est arrivé que la tumeur disparaisse après une immunothérapie néoadjuvante, c’est-à-dire un traitement censé réduire sa taille en préparation d’une intervention chirurgicale. Dans certains cas, nous utilisons aussi l’immunothérapie aux stades précoces pour prévenir la propagation de la maladie. »

Un pas de plus vers un traitement curatif ?

Avant que les immunothérapies de type « inhibiteurs de points de contrôle » émergent, l’oncologue américain Steven Rosenberg s’intéressait déjà au potentiel des lymphocytes (cellules immunitaires) présents dans la tumeur (les « TILs » pour tumor-infiltrating lymphocytes) pour lutter contre les tumeurs. En 1986, le chercheur parvient à isoler les TILs dans le but de les cultiver en laboratoire et les réinjecter en masse dans l’organisme.

Mais faute de financements, les recherches avancent au ralenti. Il faudra donc attendre 2014 pour que des essais cliniques de phase 3 aient lieu, sous la houlette du professeur John Haanen.
En 2022, l’équipe constituée de chercheurs de l’Institut néerlandais du cancer (NKI) et du Centre national danois d’immunothérapie contre le cancer publie les résultats de la première étude sur l’efficacité de la thérapie TILs sur des patientes n’ayant pas réagi à l’immunothérapie par inhibiteurs de points de contrôle. « Certains spécialistes se montraient sceptiques à l’idée qu’une thérapie TILs puisse fonctionner sur une patiente qui n’a pas réagi aux inhibiteurs de points de contrôle, car les deux procédés reposent sur le système immunitaire. »

Toutefois, les études cliniques menées par John Haanen affichent des résultats encourageants. « Sur dix patients n’ayant pas montré de signes d’amélioration après un traitement par inhibiteurs de points de contrôle, cinq répondent favorablement à la thérapie TILs et deux voient leur tumeur disparaître complètement. »

Aussi au CHUV

Au CHUV, certaines patientes ont pu participer aux essais cliniques de la thérapie TILs. Parmi eux, Philippe G. qui a bénéficié de ce traitement en 2021, près de dix ans après un diagnostic de mélanome avancé qui, par chance, avait pu être pris en charge.

Mais quatre ans plus tard, c’est la rechute et le début d’un nouveau parcours semé d’embûches : des métastases sont détectées à proximité de ses poumons. Philippe G. enchaîne alors les opérations chirurgicales et les immunothérapies et son état de santé s’améliore. En 2020, une nouvelle tumeur au cerveau doit être traitée par radiothérapie puis en 2021, c’est au niveau de son genou que les cellules cancéreuses se sont agglutinées pour former plusieurs tumeurs. « C’est à ce moment-là que les médecins m’ont proposé de participer aux essais cliniques de la thérapie TILs. » Toutes les personnes atteintes d’un cancer ne sont pas éligibles, car pour que la thérapie fonctionne, il faut notamment extraire un échantillon de la tumeur. « Ma tumeur contenait juste assez de lymphocytes pour que l’on puisse lancer la culture en laboratoire », raconte l’homme de 52 ans. Autre facteur déterminant : l’évolution de la tumeur doit être stable, car plusieurs semaines s’écoulent entre le prélèvement des lymphocytes et la réinjection.

Philippe G. reçoit d’abord une chimiothérapie afin de préparer son organisme à l’arrivée des milliards de lymphocytes multipliés in vitro. « En dix ans de traitement, cela a été ma première chimiothérapie, et ça été l’épisode le plus dur en termes d’effets secondaires. »
Une fois cette phase terminée, les médecins lui administrent la thérapie TILs. « J’ai reçu une petite dizaine d’injections en trois jours, toutes suivies d’un effet collatéral assez spécial : des tremblements incontrôlables et très forts. Ce n’est pas douloureux, mais cela marque tout de même l’esprit. »

En définitive, la stratégie thérapeutique se révèle payante. Deux semaines plus tard, toutes les tumeurs ont disparu et, après quelques mois, Philippe G. réintègre le travail et retrouve une vie ordinaire. Malgré toutes ces épreuves, le quinquagénaire s’estime chanceux : « Sans les percées majeures réalisées par l’oncologie ces dix dernières années, le scénario aurait sans doute pris une autre tournure. » /



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Une carrière dévouée à la recherche contre le cancer

Docteur en immunohématologie depuis 1991, le professeur John Haanen se spécialise en médecine interne avant de se rediriger vers des recherches post-doctorales à l’Institut néerlandais du cancer (NKI) puis s’est formé en oncologie médicale. Membre actif de la European Society for Medical Oncology, il dirige la recherche sur les thérapies cellulaires pour les tumeurs solides, les immunothérapies néoadjuvantes et les biomarqueurs au NKI.

Ses recherches se sont concentrées sur les immunothérapies innovantes, notamment la vaccination par l’ADN et la thérapie génique TCR. Il a rejoint le Service d’oncologie médicale du CHUV en 2023, et continuera toutefois d’exercer au sein du NKI et de l’Université de Leyde aux Pays-Bas.