Les soins palliatifs prennent en charge les patient·e·s dans la dernière phase de leur vie. Entre directives anticipées, changement de l’objectif thérapeutique et soulagement des souffrances, cette spécialité évolue avec la société vieillissante.
La mort nous attend tous. Nous avons tendance à l’occulter dans nos sociétés mais la reconnaître permet aussi de l’appréhender avec plus de sérénité. » Gian Domenico Borasio, chef de service aux soins palliatifs du CHUV, en appelle à une meilleure sensibilisation quant aux questions de fin de vie. Ces situations sont multiples, souvent liées à l’âge et aux maladies comme la démence, mais aussi aux maladies chroniques et aux cancers. « Ces patients touchent aux limites de la médecine, explique le professeur. Les organes sont trop fatigués, la maladie profondément installée. Les soins palliatifs ne visent pas forcément à allonger la vie mais surtout à en améliorer la qualité. »
Appelée « changement d’orientation thérapeutique », cette décision signifie que les traitements ne vont désormais plus viser la guérison ou le rallongement de la vie – sans pour autant opter pour un arrêt total des soins. « Ce n’est pas un échec de la médecine si un patient meurt, c’est la manière qui est essentielle », précise Gian Domenico Borasio, auteur du livre de sensibilisation Mourir et directeur de la première chaire de médecine palliative de Suisse créée en 2006 à l’Université de Lausanne. « Il faut absolument éviter de persévérer dans l’administration de traitements, parfois invasifs, à un patient qui n’en veut pas,
ou pour qui ils n’ont plus de sens. L’objectif est de soulager les souffrances physiques, psychosociales et existentielles du patient, en l’accompagnant correctement
pour lui permettre d’exprimer tout son potentiel humain dans la dernière phase de sa vie. »
Près de 70% de la population suisse manifeste le souhait de mourir à domicile mais dans les faits, moins de 20%
y parviennent : 40% décèdent à l’hôpital et 40% en EMS, selon un rapport fédéral. Pour Ralf Jox, responsable de l’unité d’éthique clinique et cotitulaire de la chaire des soins palliatifs gériatriques du CHUV, les soins palliatifs sont aujourd’hui confrontés à deux problématiques :
« Ils sont encore trop limités aux patients atteints de cancer en phase terminale, alors qu’ils devraient être envisagés pour de nombreuses autres pathologies et, surtout, bien plus tôt. » En effet, au CHUV, en moyenne 75% des patientes en soins palliatifs sont atteintes d’un cancer,
25% d’une autre pathologie.
« Les soins devraient en outre commencer sur les derniers mois, voire années de la vie, et pas seulement les derniers jours, pour davantage de confort. C’est une idée préconçue d’imaginer le palliatif comme la médecine des derniers instants seulement. » La gestion des douleurs est en effet primordiale : quelle que soit sa pathologie de base, une personne en soins palliatifs souffre en moyenne de plus de dix symptômes physiques et psychologiques simultanément, selon un article du Swiss Medical Forum.
En Suisse, 62% des décès concernent des personnes âgées de plus de 80 ans. Le vieillissement de la population en appelle ainsi à une considération plus précoce des soins palliatifs pour les malades.
Une stratégie également intéressante sur le plan financier : 25 à 30% des coûts de la santé sont liés aux soins effectués dans les dernières années de l’existence, surtout en raison des hospitalisations.
Les soins palliatifs visent ainsi à être davantage menés au domicile des personnes ou en EMS. Une bonne idée, selon le professeur Borasio, à condition de ne pas reporter la charge sur les proches aidantes. « Les familles ne peuvent pas prodiguer les soins seules. Les fins de vie peuvent être compliquées et exigeantes. Reporter ces soins à la maison sans un soutien étatique et financier suffisant déplace la responsabilité sur les proches, qui se retrouvent souvent surchargés. » Les personnels d’EMS sont souvent insuffisamment formés aux soins palliatifs. Dans le canton de Vaud, quatre équipes mobiles de soins palliatifs existent pour aider les patientes et leurs familles dans leur lieu de vie, que ce soit à la maison ou à l’EMS.
« Ce n’est pas possible de penser constamment à la mort mais ce n’est pas sain de totalement l’occulter non plus, souligne l’éthicien Ralf Jox. Penser à sa finitude aide à réaliser l’importance de vivre sa vie pleinement. Anticiper ses décisions permet aussi de soulager les proches. Les moments de maladie ou de deuil dans l’entourage sont propices à aborder ces sujets malheureusement encore trop tabous. »
Selon l’Office fédéral de la statistique (OFS), 70% des personnes âgées (de plus de 65 ans) pour qui des décisions importantes doivent être prises n’ont pas leur pleine capacité de discernement. Le « projet de soins anticipés » (advance care planning) vise à pallier les limites actuelles des directives anticipées. Objectif : inciter les individus à réfléchir en amont à leurs valeurs ainsi qu’au niveau de soins qu’ils souhaitent ou non et à mettre leurs volontés par écrit, de manière claire et sans contradictions. « Les directives anticipées aident grandement les familles à décider de l’ampleur des soins à entreprendre, explique Ralf Jox. Dans ces situations, les décisions doivent se baser sur la volonté présumée du patient et non pas sur ses propres valeurs. Ces choix peuvent être difficiles sans guide. »
Il n’existe aujourd’hui pas un seul formulaire étatique, mais une diversité de documents.
Le plus utilisé est celui de la Fédération des médecins suisses (FMH) mais ses terminologies complexes le rendent difficile à appréhender. « Ces directives doivent être remplies avec l’aide du médecin traitant, par exemple. Malheureusement, ces démarches ne sont pas spécifiquement remboursées par l’assurance maladie. »
Selon les sondages, près de 30% des Suissesses ont rempli des directives anticipées, moitié moins en Suisse romande. Or à l’hôpital, seulement 5% des patientes présentent leurs directives. « Il n’existe pas de registre national et de nombreuses personnes n’ont pas informé leurs proches du lieu où elles ont rangé leurs directives anticipées. Ces informations restent donc introuvables. C’est dommage, il faudrait les intégrer au dossier électronique du patient. »
« La famille, les amis, l’entourage sont déterminants dans l’accompagnement d’une personne en soins palliatifs, précise Mathieu Bernard, directeur de la chaire de psychologie palliative du CHUV (créée en 2021, c’est la première en Suisse). Ce sont ces personnes qui améliorent la qualité de vie et participent à donner un sens à l’existence vécue. Mais elles peuvent aussi représenter une source de stress pour le patient, qui s’inquiète de leur devenir, voire même culpabilise d’être un fardeau, d’imposer ces situations difficiles. » Souvent démunies, les proches ont également besoin de soutien. « Ils peuvent s’épuiser émotionnellement et physiquement, ce qui peut être dangereux », avertit Mathieu Bernard.
Les patientes en soins palliatifs bénéficient d’un accompagnement social, psychologique et spirituel. L’acceptation de la mort est différente en fonction de la vitesse de progression de la maladie et de l’âge des patientes. « Les personnes âgées peuvent accepter plus facilement la fin de leur vie, alors que c’est beaucoup plus difficile chez les plus jeunes, pour qui cette réalité n’est pas compatible avec les enjeux qui devraient être les leurs. Indépendamment de l’âge, pour certains patients, la fin de vie n’est pas concevable, ils peuvent alors manifester du déni face à la réalité. C’est un mécanisme de défense qui permet de refréner les angoisses de mort. Il faut alors les accompagner en partant de leur réalité subjective, ce qui nécessite de s’adapter avec délicatesse à leur situation. Vouloir les confronter coûte que coûte à la réalité médicale objective peut être très dommageable pour les patients », soulignent les deux spécialistes. Des recherches ont également montré que la notion d’altruisme pouvait gagner en importance dans cette phase de vie : « Les patients cherchent alors à donner, à transmettre quelque chose pour la postérité. » /
Directeur de la chaire de psychologie palliative du CHUV, le spécialiste détaille l’importance de l’entourage dans l’accompagnement d’une personne
en soins palliatifs.
Philip Larkin, professeur et directeur des soins palliatifs infirmiers au CHUV, s’intéresse au concept de compassion en soins palliatifs. « Les soins de fin de vie requièrent l’empathie du soignant. La compassion représente la concrétisation par l’action de ce sentiment. » Selon lui, cette capacité se concrétise par l’aptitude à soutenir les décisions des patientes tout en respectant son autonomie. « Cette bienveillance ne peut opérer que si le personnel soignant et les institutions appliquent
aussi une forme d’autocompassion. »
Comment aborder le sujet des volontés
de fin de vie avec ses proches ? Les 44 cartes du jeu
À vos souhaits – traduit de la
version originale américaine Go Wish – permettent
de s’interroger
sur ces grandes
questions. L’outil, qui se commande sur Internet, invite
à l’échange et permet auà la joueureuse de s’exprimer sur ses valeurs, ses doutes et ses volontés. « Ce jeu apporte une approche ludique qui peut encourager et faciliter la réflexion autour des valeurs et des préférences de fin de vie, commente Ralf Jox,
responsable de l’unité d’éthique clinique et cotitulaire de la chaire des soins palliatifs gériatriques du CHUV. Mais ce n’est pas su∞sant pour rédiger des directives anticipées
de manière claire et applicable. Le projet de soins anticipés (advance care planning)
est un modèle beaucoup plus
complet qui consiste à
accompagner la personne tout au long du processus, de la réflexion
à la signature
des documents
de prévoyance. »
Face à la mort,
la spiritualité
peut devenir une ressource importante. « Dans les soins palliatifs, la spiritualité englobe la question du sens de la vie et/ou un sentiment de transcendance, de connexion avec quelque chose qui dépasse sa propre condition d’être humain, explique Mathieu Bernard, directeur de la chaire de psychologie palliative du CHUV. Elle ne se réduit donc pas
à la religion uniquement. L’objectif est d’accompagner chaque patient dans sa propre croyance. » Les accompagnantes spirituelles – anciennement appelées aumôniers – sont présentes dans l’hôpital à cette fin. Les réflexions sur le sens de sa propre existence ou de sa maladie peuvent aussi être
encadrées par
les psychologues.
« Mais si la spiritualité peut représenter une aide en fin de vie, pour d’autres, l’émergence de la maladie peut être vécue comme un abandon ou une trahison. Dans tous les cas, la spiritualité doit être évaluée et
au besoin intégrée dans la prise
en charge. »