Tendances
Texte: Andrée-Marie Dussault
Photo: lo cole (Illustration)

Le jeûne au goût du jour

S’abstenir de manger à des fins thérapeutiques ou de bien-être est une pratique qui fait toujours plus d’adeptes. Les scientifiques appellent à la prudence.

En Valais, le centre Interlude bien-être propose depuis cette année des séjours «jeûne et randonnée». Dans un décor enchanteur à mi-montagne, loin des tentations, une dizaine de personnes – à 80% des femmes, âgées entre 30 et 60 ans – viennent jeûner et marcher entre 4 et 7 jours. «Malgré très peu de publicité, nous avons réussi à remplir nos semaines depuis le début, rapporte Louis Clerc, responsable du centre; il existe un véritable intérêt pour ce type d’offre.»

Le jeûne – l’abstinence complète ou limitée d’aliments pendant une durée déterminée – est en effet de plus en plus connu et les offres se multiplient, en Suisse comme ailleurs.

Chez Interlude bien-être, seules les personnes en bonne santé avec un indice de masse corporelle normal (entre 18 et 32-33) sont admises sans certificat médical. Le centre n’offre pas des jeûnes thérapeutiques, mais ambitionne de se médicaliser dans les années à venir. «Nous proposons un jeûne préventif ou de «bien-être», sans prétendre guérir les maladies chroniques, précise Louis Clerc, même si plusieurs participants constatent une nette amélioration de leur condition au terme de leur séjour.» Celui-ci est rythmé par le rituel du jus de fruits le matin et celui du bouillon clair le soir, deux ou trois heures de randonnée en matinée sur le plat, avec séances de yoga, méditation, massages et ateliers sur l’alimentation à la carte, le tout accompagné d’une naturopathe et d’échanges avec le groupe.

«Il existe un réel intérêt concernant les effets des restrictions alimentaires sur l’organisme.» Luc Pellerin, Prof. de physiologie à l’UNIL-CHUV

Selon Olivier Bauer, Prof. de théologie à l’UNIL, spécialiste de la nourriture, le questionnement sur l’alimentation et la conscience écologique que partagent de plus en plus de citoyens explique en partie l’engouement actuel pour le jeûne. «Qu’est-ce que je mange, d’où cela vient-il, dans quelles conditions est-ce produit; est-ce que je mange ma juste part ou celle des autres aussi? Ces interrogations font partie d’une réflexion qui peut mener au jeûne.» Il y voit aussi une dimension spirituelle. «Le jeûne permet de se rappeler la chance que l’on a de pouvoir manger et de choisir ce que l’on mange; il peut aider à se montrer reconnaissant.»

Considéré comme une thérapie de purification du corps par toutes les médecines traditionnelles (chinoise, amérindienne, africaine ou encore l’Ayurveda), le jeûne a été occulté par la médecine allopathique moderne. Pourtant, dans l’Antiquité, Hippocrate (460-370 av. J.-C.), le «père» de la médecine occidentale, incitait ses patients à se soigner par le jeûne plutôt que de recourir aux médicaments.

Certains tentent de le réhabiliter. Dans son documentaire «Le jeûne, une nouvelle thérapie?» - lire interview "l'organisme a besoin de se reposer" - par exemple, le Français Thierry de Lestrade montre comment cette pratique et son efficacité pour soulager les maladies chroniques ont été étudiées pendant quarante ans en Union soviétique jusqu’en 1988. Il présente par ailleurs le travail de Valter Longo, biologiste à l’Université de Californie, qui a prouvé que de courts jeûnes augmentent l’efficacité de la chimiothérapie pour combattre le cancer, tout en réduisant ses effets secondaires.

Professeur de physiologie à l’UNIL-CHUV, expert dans le fonctionnement du métabolisme, Luc Pellerin estime que l’attitude du corps scientifique occidental par rapport au jeûne commence à s’ouvrir.

«Depuis une dizaine d’années, il existe un réel intérêt concernant les effets des restrictions alimentaires sur l’organisme.» Selon les résultats de la recherche fondamentale sur les rongeurs, celles-ci augmenteraient la longévité et les performances cognitives. «En revanche, poursuit le spécialiste, chez les primates plus évolués, dont l’humain, les effets sont plus limités et difficiles à mettre en évidence, car les variables à considérer sont beaucoup plus nombreuses.» Il appelle à la prudence quant au jeûne complet pendant de longues périodes, lequel peut entraîner des carences de nutriments essentiels, notamment chez les personnes plus vulnérables. «Pour l’heure, nous ne savons pas bien comment utiliser cette approche; il serait prématuré de passer à une application large.»

«Le jeûne peut exposer l’organisme à des carences nutritionnelles.» Marie-paule depraz cissoko, diététicienne

Responsable médicale de la nutrition au Service d’endocrinologie du CHUV, diabétologie et métabolisme du CHUV, Pauline Coti Bertrand se veut également prudente. «Les preuves scientifiques actuelles ne permettent pas de recommander la pratique du jeûne, même chez l’individu en bonne santé, affirme-t-elle, notamment parce que des effets néfastes non observés à court terme pourraient s’observer à long terme.»

Pour sa collègue Marie-Paule Depraz Cissoko, diététicienne cheffe au sein du même département, le jeûne présente peu de risques uniquement chez la personne en bonne santé, s’il est occasionnel et ne dure que quelques jours. «Notre organisme a des besoins constants, mais des apports discontinus. Il est ainsi conçu pour stocker des réserves et les mobiliser lorsque cela est nécessaire.»

La diététicienne insiste cependant sur l’importance d’une hydratation suffisante tout au long du jeûne et met en garde contre sa répétition, laquelle pourrait exposer l’organisme à des carences nutritionnelles.

Quant aux personnes malades, les deux expertes en nutrition jugent qu’il en va autrement, particulièrement au cours des phases aiguës de la maladie. «L’organisme ne présente plus les mêmes capacités d’adaptation; ses besoins nutritionnels peuvent être augmentés, les pertes plus importantes, explique Marie-Paule Depraz Cissoko. Un jeûne de plusieurs jours peut affaiblir l’organisme et le rendre moins réceptif aux traitements.» «Dans tous les cas, ajoute Pauline Coti Bertrand, le médecin doit informer le patient sur les effets secondaires potentiels de l’abstinence alimentaire et l’en dissuader.»

Si la question du jeûne fait toujours débat au sein de la communauté scientifique, c’est que les études à ce sujet sont encore peu nombreuses. Comment l’expliquer? L’une des barrières à la recherche est culturelle, selon Luc Pellerin: «Historiquement, nous avons toujours associé la bonne santé à une alimentation variée. Les scientifiques ont donc mis du temps à prendre la question au sérieux.» De plus, les autorités vétérinaires sont réticentes lorsqu’il s’agit de délivrer les autorisations à étudier le jeûne sur les animaux. «La restriction alimentaire est considérée par les autorités comme un inconfort majeur. Leur a priori négatif restreint donc considérablement les possibilités de recherche sur les animaux», affirme le professeur de physiologie.



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Les phases du jeûne

Le jeûne court

Entre environ 16 heures et trois ou quatre jours après la dernière prise alimentaire, les réserves de glucose s’épuisent. Quelques symptômes désagréables peuvent se manifester; nausées, maux de tête, vertiges, essoufflements, palpitations, faiblesse, crampes...

Le jeûne prolongé

Entre les quatrième et cinquième jours, la deuxième phase s’installe; elle peut durer plusieurs semaines. Elle se caractérise par une perte protéique infime et stable. Un sentiment d’euphorie peut gagner le jeûneur, dû à l’élévation du taux d’hormones telles que la sérotonine.

La phase terminale

Cette phase se caractérise par la mobilisation des protéines et elle survient lorsqu’il reste environ 20% des réserves lipidiques.

Cette période est limitée à brève échéance.