Tendances
Texte: Catherine Cochard
Photo: MARIA ZARNAYOVA / EPA

La musique s’invite à l’hôpital

La médecine croit toujours plus aux bienfaits thérapeutiques du quatrième art. Gestion de la douleur, concentration ou neuro-réhabilitation, les sons agissent directement sur le cerveau.

En savoir plus:

Dans une maternité de Kosice-Saca, en Slovaquie, des nouveau-nés écoutent de la musique à l’aide d’écouteurs.

Mar 18, 2016

Follow Up

Depuis 2004, les enfants hospitalisés au CHUV et à l’Hôpital de l’Enfance peuvent bénéficier d’ateliers musicaux. « L’objectif n’est pas thérapeutique, il s’agit avant tout de leur proposer un moment d’évasion, déclare Christina Demand, qui travaille pour la Fondation Planètes enfants malades. Nous essayons de leur permettre de vivre la musique avec leur corps, en prenant le temps. Pour certains enfants, seulement quelques minutes seront nécessaires tandis que d’autre auront besoin d’une heure, mais quand nous partons, le jeune semble soudain plus vivant. La musique agit comme un révélateur pour certain(e)s ! »

Xylophone, harpe, lyre, guitare ou encore percussions… Le catalogue d’instruments est suffisamment grand pour que tout le monde y trouve son compte. « Et cela nous permet de nous adapter à la condition des enfants, continue Christina Demand. Je me souviens d’un garçon qui attendait un cœur et qui adorait taper sur le tambour, le plus fort possible. Je ne peux pas m’empêcher de penser que c’était un moyen pour lui d’exprimer ses angoisses d’une manière positive. »

Et est-ce que l’expérience génère des vocations musicales ? « Ce n’est pas le but premier, conclut Christina Demand. L’important est que l’enfant bloqué au lit s’échappe de son quotidien. Si cela lui permet de se rapprocher du monde de la musique et lui donne envie de continuer l’aventure hors des murs de l’hôpital, c’est tant mieux ! »

A Nashville, dans le Tennessee, des chercheurs ont mis au point des tétines qui, lorsque des prématurés de 34 à 35 semaines la sucent correctement – c’est-à-dire en coordonnant correctement leur respiration et le mouvement de succion –, diffusent la voix de leur mère chantant une berceuse. Les résultats de cette expérience, publiés dans «Pediatrics», le journal de l’académie américaine de pédiatrie, montrent que grâce à la récompense du timbre apaisant de la maman, le nourrisson né avant terme parvient plus rapidement à se nourrir et quitte ainsi l’hôpital plus tôt.

Utiliser la musique comme outil thérapeutique n’est pas une pratique propre à notre époque. Dans la haute Antiquité égyptienne déjà, les soignants prescrivaient aux malades des chants dans l’espoir de guérir une stérilité, des douleurs rhumatismales ou soulager des piqûres d’insectes. Les vertus attribuées aux sons sont, bien sûr, différentes aujourd’hui: ils sont, la plupart du temps, perçus comme des «médiateurs» qui facilitent la communication entre le patient et le thérapeute. «La musicothérapie est une pratique de soin qui permet de prendre en charge des personnes présentant des difficultés psychologiques, sociales, comportementales ou relationnelles et des troubles psychoaffectifs, sensoriels ou neurologiques», explique David Suchet, musicothérapeute installé à Lausanne.

Les hôpitaux suisses y recourent depuis plusieurs années. «L’intégration des thérapies à médiation artistique s’est
fait à travers un long processus qui a débuté dans les années 1960», explique Sarah Flores Delacrausaz, musicothérapeute depuis dix-sept ans à l’hôpital psychiatrique de Cery. La mise en place de formations spécifiques en Suisse a permis à la profession de se faire connaître et d’acquérir une place toujours plus importante dans divers domaines de soin. «L’intérêt pour ce type de thérapies est très clair: elles ouvrent des voies uniques et originales vers la compréhension et le traitement des maladies psychiques.»

Bon pour le moral

Si la qualité de la relation entre le sujet et le musicothérapeute est primordiale, la musique seule a aussi des effets bénéfiques. Le Centre de psychiatrie
du Nord vaudois à Yverdon a mené une expérience intitulée «Amenhotep» au cours de laquelle les portes chambres de soins intensifs sont devenues des interfaces permettant au malade de choisir de la musique par simple effleurement, comme avec un écran tactile.

A l’avenir, l’identité sonore propre à chacun pourra certainement se mesurer de manière plus précise

«Alors que le moment traversé par le sujet est particulièrement chaotique, le maniement du dispositif lui offre un certain contrôle sur son espace, explique Alexia Stantzos, infirmière spécialiste clinique au CHUV et adjointe scientifique à la Haute école de la santé de Lausanne, qui a mené l’étude. Par ailleurs, le patient est libre de choisir le morceau qu’il désire entendre et

son volume. Au niveau cognitif, cela renforce son sentiment d’autonomie et d’indépendance, et du point de
vue émotionnel l’écoute musicale permet de répondre à ses besoins particuliers.» D’ici à cet automne, les portes des quatre chambres de soins intensifs du centre seront pourvues du même dispositif médical.

Identité sonore propre à chacun

La musicothérapie a aussi des effets bénéfiques pour les maladies somatiques. «Dans le cadre d’une neuro-réhabilitation (avec des personnes ayant, par exemple, subi un accident vasculaire cérébral), l’écoute ou la pratique de la musique permettent notamment de diminuer les troubles de l’attention, d’améliorer une hémiplégie, d’aider à la marche par stimulation auditive rythmique, de favoriser la parole en utilisant un répertoire connu du patient ou encore de soulager des émotions négatives», poursuit David Suchet.

L’effet de la musique sur l’individu s’observe d’ailleurs par IRM au niveau du cerveau (lire ci-contre). Impossible pour autant d’associer une mélodie à un bienfait, car chaque personne possède un «ISO», soit une identité sonore propre. «Tout individu se constitue d’éléments divers – comme sa culture, son lieu d’origine, les sons
qui l’ont accompagnés durant son enfance – qui vont façonner des goûts musicaux propres, explique Serge Ventura, directeur de l’Ecole romande de musicothérapie. Il est nécessaire d’établir l’identité sonore de chacun
pour pouvoir agir correctement avec la musique. Ce n’est pas la musique en tant que telle qui soigne, mais la relation qui prend forme entre le thérapeute et le patient par l’intermédiaire des sons qui répondent au vécu et à l’identité particulière du patient.»

A l’avenir, l’identité sonore propre à chacun pourra certainement se mesurer de manière plus précise: Sync Project, une société basée à Boston, cherche à croiser la musique des utilisateurs et leurs données biométriques récoltées par le biais d’objets connectés (smart-watches et autres bracelets de type Jawbone). En corrélant les datas et les titres écoutés, Sync Project cherche à établir des schémas – le sujet court plus vite en écoutant U2 ou se relaxe mieux avec Marvin Gaye par exemple – pour suggérer ensuite aux utilisateurs la musique la plus appropriée à leur activité et leur état de santé. Ne restera plus à chacun qu’à établir sa playlist. /

Un impact positif sur le cerveau

Jouer du piano, de la flûte ou du violon modifie une aire du cerveau impliquée dans la concentration, l’agressivité, et même l’anxiété. C’est la conclusion d’une étude de l’Université du Vermont parue dans le Journal of the American Academy of Child & Adolescent Psychiatry. «Cela permet une maturation plus rapide de l’épaisseur corticale dans les aires impliquées dans la planification motrice et la coordination, les capacités visuo-spatiales, et la régulation des émotions et des pulsions», analysent les auteurs.

Les travaux de Nadine Gaab,de l’Hôpital pour enfants de Boston, ont aussi établi un lien entre la pratique d’un instrument et les compétences intellectuelles. «Les musiciens ont un débit de parole spontané plus important lorsqu’ils doivent décrire une image et ont une mémoire de travail plus importante.»



Partagez:

 
 
 

​Au bloc aussi

Une étude parue en août dernier dans la revue médicale britannique The Lancet révèle les bienfaits de la musique au bloc opératoire. Elle démontre qu’écouter de la musique avant, pendant ou après une opération réduit douleur et anxiété chez les malades. Pour Catherine Meads de la Brunel University, qui a mené les recherches, tous les patients devraient pouvoir écouter de la musique et même choisir ce qu’ils aimeraient entendre afin d’optimiser l’effet positif de celle-ci.