Prospection
Texte: Paule Goumaz
Photo: Cas Oorthuys/NFA, collectie Nederlands fotomuseum

Epigénétique, mon cher Watson

Discipline apparue dans les années 40, l’épigénétique révèle que notre environnement influence l’héritage biologique que nous transmettons à nos enfants et petits-enfants. Elle ouvre de nouvelles perspectives dans le traitement de nombreuses maladies.

A la fin de la Seconde Guerre mondiale, plusieurs provinces des Pays-Bas furent affamées par un blocus organisé par l’Allemagne nazie. Une action dont les conséquences se sont prolongées après la fin des hostilités: non seulement les femmes enceintes ont accouché de nouveau-nés avec un poids plus petit que la normaleet à risque de développer notamment un diabète de type 2, mais leurs filles ont également donné naissance à des bébés présentant une adiposité anormale 40 ans plus tard. Des chercheuses de l’Université d’Amsterdam ont montré depuis lors que les personnes exposées à cette famine, lorsqu’elles étaient dans le ventre de leur mère, présentaient des modifications de leur génome, transmises à la génération suivante. Cette découverte touche précisément le coeur de la recherche en épigénétique: quelle force est capable de modifier l'action de nos gènes? Et comment?

Aller au-delà de la génétique

Les cellules de notre organisme contiennent, au sein de leur noyau, la totalité de nos gènes. Cependant, elles ne lisent que ceux nécessaires à leur propre croissance et fonctionnement. En d’autres termes, certains gènes sont activés et «s’expriment », tandis que d’autres sont rendus silencieux. Ce sont différentes modifications chimiques qui les activent ou non, sans changer la séquence de l’ADN. Et si le séquençage du premier génome humain en 2001 a permis des progrès sans précédent, il a également soulevé de nombreuses questions qui peuvent être résumées par cette formule du généticien Thomas Hunt Morgan, prononcée (déjà) en 1934: « Si les caractères de l’individu sont déterminés par les gènes, pourquoi toutes les cellules d’un organisme ne sont-elles pas identiques ? » Même si nos cellules portent les mêmes gènes, elles ne se ressemblent en rien selon qu’elles constituent des cellules des muscles, du foie ou d’un neurone. Il y a donc d’autres déterminants.

De nombreux facteurs environnementaux seraient en cause dans les modifications épigénétiques, parmi lesquels la nutrition, comme nous l’avons vu plus haut, les comportements de la mère, le stress ou encore l’exposition aux polluants.

«L’épigénétique se penche sur l’expression des gènes dans l’organisme, explique le Pr. Winship Herr, qui enseigne cette discipline au Centre intégratif de génomique de l’Université de Lausanne. Elle suppose que tout n’est pas inscrit dans l’ADN. »Cette science s’intéresse d’abord au développement embryonnaire et à la différenciation des cellules : « Un exemple connu est celui de l’inactivation du chromosome X chez les femelles des mammifères, qui portent deux exemplaires de ce chromosome, poursuit Winship Herr. Ce processus, qui s’effectue de façon aléatoire dans chaque cellule de l’organisme, est normal dans le déroulement de leur développement.»

Plusieurs maladies sont aujourd’hui associées à l’épigénétique, notamment les troubles du métabolisme comme le diabète ou l’obésité, les maladies auto-immunes ou les cancers. «Des mutations génétiques, mais également des dérèglements de l’expression des gènes sont à l’œuvre dans tous les cancers, précise Winship Herr. On espère beaucoup des thérapies qui permettront de cibler ces altérations pour reprogrammer les cellules cancéreuses, c’est à dire initier leur différenciation et arrêter leur croissance incontrôlée.»

De nombreux facteurs environnementaux seraient en cause dans les modifications épigénétiques, parmi lesquels la nutrition, comme nous l’avons vu plus haut, les comportements de la mère, le stress ou encore l’exposition aux polluants. «On découvre de plus en plus que des maladies sont influencées par ces variations, termine Winship Herr. Mais se pose la question de leur transmission. Pour certains, elles devraient se manifester sur plusieurs générations pour être reconnues. C'est tout l'enjeu de cette discipline qui est encore jeune et dont le champ d'activité est appelé à s'agrandir encore."

Tout se joue dans les 1000 premiers jours!
L’épigénétique est un des mécanismes du concept né depuis plus de trente ans et connu sous le nom d’«origine développementale de la santé et des maladies» (DOHaD en anglais). «De nombreuses études ont démontré que la plupart des maladies chroniques non transmissibles de l’adulte - cardio-vasculaires, diabète, obésité - prennent une partie de leurs origines durant les 1000 premiers jours de la vie, soit avant la conception de l’enfant jusqu’à ses deux premières années, explique le Pr. Umberto Simeoni, chef du Service de pédiatrie du CHUV. Nous savons que l’environnement peut particulièrement perturber les modifications épigénétiques durant cette période et avoir un impact à long terme sur le fœtus. Celui-ci s’adapte aux conditions de cet environnement précoce, au prix d’une programmation pour la vie.» Par exemple, si une femme souffre de malnutrition durant sa grossesse, son enfant présentera non seulement un faible poids de naissance, mais risquera également de développer ultérieurement un diabète en cas de nourriture abondante.

Les recherches du professeur se penchent notamment sur la nutrition et la DOHaD. L’enjeu est d’étudier les mécanismes épigénétiques et d’identifier, si possible, des marqueurs qui permettraient de repérer les personnes à risque du fait de leur « mauvaise programmation ». Cela permettrait de prévenir les maladies en amont, par des conseils en nutrition ou sur le mode de vie, aux enfants en bas âge, à leurs mères, voire aux couples avec un projet d’enfant!



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1. Epigénétique

Désignant à l’origine les processus par lesquels les gènes conduisent aux caractères observables d’un individu (phénotype), l’épigénétique est aujourd’hui l’étude des changements modifiant l’expression de gènes, sans apporter des mutations à

la séquence de l’ADN.that do not cause mutations in the DNA sequence.

2. Phénotype

L’ensemble des caractéristiques observables d’un organisme vivant (anatomiques, morphologiques, moléculaires ou physiologiques), déterminé par les gènes et l’environnement. Des hortensias de la même variété génétique peuvent présenter une couleur (un phénotype) variant du rose au bleu selon l’acidité du sol.

3. Méthylation

Une des modifications chimiques les plus connues dans l’expression des gènes. Lors de ce processus, de minuscules particules (des groupes méthyles formés d’atomes) se fixent sur

l’ADN et activent ou répriment le fonctionnement
de certains gènes.

4. Chromatine

Structure, comparée à un collier de perles, dont on a longtemps pensé qu’elle servait principalement à compacter l’ADN – de 2 mètres de long! – dans le noyau de la cellule. Elle joue cependant un rôle essentiel car elle permet aux gènes, selon son état «ouvert» ou «fermé», d’être accessibles et exprimés.