Prospection
Texte: Clément Bürge
Photo: Illustration: Leha van Kommer

La quête de l’immortalité

Un nombre croissant de projets scientifiques cherchent à prolonger l’espérance de vie. Les tests sur les êtres humains commenceront prochainement.

La science de l’immortalité a de tout temps fait rêver les chercheurs. En 1914 déjà, le chirurgien français Serge Voronoff espérait prolonger la vie des humains en leur implantant des testicules de singe. Ces dernières années, la recherche d’une méthode pour stopper – ou du moins ralentir – le vieillissement a bénéficié d’un regain de jeunesse. En 2013, Google a fondé une start-up, Calico, qui a pour objectif de trouver un remède à la vieillesse. Autre exemple, Dmitry Itskov, un multimillionnaire russe, a réuni des chercheurs du monde entier pour travailler sur la thématique. «Le nombre de projets augmente pour une simple raison: nous nous approchons du but final, explique Aubrey de Grey, un spécialiste de la question. Pour la première fois dans l’histoire de l’humanité, nous disposons d’un bagage de connaissances assez large pour savoir comment augmenter l’espérance de vie. Ce n’est plus qu’une question de temps.» Tour d’horizon des projets les plus intéressants.


1 Rajeunir le cœur des souris

Amy Wagers et Richard T. Lee, des chercheurs du Harvard Stem Cell Institute (USA), ont connecté chirurgicalement la circulation sanguine d’une souris âgée à celle d’un rongeur plus jeune. Après seulement quatre semaines, les symptômes d’insuffisance cardiaque liés à l’âge du rongeur plus âgé avaient disparu. «Les muscles du cœur d’une souris, comme celui d’un être humain d’ailleurs, s’épaississent avec l’âge, ce qui augmente les risques de maladies cardiaques, explique Richard T. Lee. Lors de notre expérience, le cœur de la souris plus âgée avait clairement retrouvé la taille de celui du rongeur plus jeune. On pouvait le constater à l’œil nu.» Les chercheurs ont aussi remarqué que ce rajeunissement était causé par la présence d’une hormone sanguine, GDF-II. Ils essaient maintenant d’établir quels sont les effets de cette hormone sur d’autres organes. «Nous souhaitons lancer des essais cliniques dans quatre ou cinq ans.»


2 Le paradoxe de la sélection naturelle

La sélection naturelle favorise les organismes qui ont les meilleures aptitudes de survie et de reproduction. Selon cette logique, elle devrait a priori empêcher la transmission de gènes qui déclenchent le processus de vieillissement. Ce qui n’est pas le cas. Le chercheur britannique John Pannell, professeur au Département d’écologie et évolution de l’UNIL, a voulu comprendre pourquoi. Pour cela, il a étudié la longévité d’une plante, la «Silene latifolia»: «C’est un paradoxe, le vieillissement et la détérioration de l’organisme empêchent la survie et la reproduction», dit-il. Son équipe a mené une étude expérimentale de génétique quantitative. «Nous avons découvert que les organismes ne développent pas des mutations génétiques au début de leur vie, car ils ont plus de chances de se reproduire, explique le scientifique. Par contre, dès qu’ils commencent à prendre de l’âge, ces organismes ont moins de chances de se reproduire. Ils développent alors des signes de sénescence.» Les gènes qui causent le vieillissement sont ensuite transmis de génération en génération pour une raison importante: «On aurait pu attendre que la sélection naturelle supprime ces gènes, mais ils offrent une série d’avantages, notamment reproductifs, dont il est difficile de se passer.» Un constat qui permet de mieux comprendre le fonctionnement du vieillissement, et d’augmenter les chances de trouver un traitement.


3 Les sept causes du vieillissement

Le Britannique Aubrey de Grey est un symbole de la lutte contre le vieillissement. Avec sa barbe, son teint pâle et sa longue silhouette, l’ancien informaticien formé à l’Université de Cambridge (GB) et autodidacte en biogérontologie, a un air shakespearien. Il a identifié sept causes au processus du vieillissement, comme le non-remplacement des cellules qui meurent, la rétention des cellules qui devraient mourir, les mutations dans le génome nucléaire et mitochondrial et l’accumulation des déchets à l’intérieur et à l’extérieur des cellules. Il a fondé SENS – Strategies for Engineered Negligible Senescence – une fondation basée aux Etats-Unis, qui travaille sur ces sept points. «Nous finançons des projets de médecine régénérative et nous en conduisons un certain nombre, explique Aubrey de Grey. Notre but est de prévenir les maladies liées à l’âge.» L’homme est convaincu que le premier homme qui va vivre jusqu’à 1’000 ans est déjà en vie: «J’estime qu’il y a 30 à 40% de chances que les gens de mon âge, dans la quarantaine, soient assez jeunes pour profiter de ces thérapies.»


4 La reproduction, clé de la longévité?

Les recherches de Hugo Aguilaniu, de l’Ecole normale supérieure de Lyon (F), sont parties d’un constat: au moment de la reproduction, les organismes animaux rajeunissent radicalement. «Au moment de la conception d’un enfant, des cellules âgées de plusieurs dizaines années – celles de ses parents – fusionnent pour créer des cellules d’âge zéro, explique Hugo Aguilaniu. Je voulais comprendre comment cela fonctionnait.» Le chercheur français a notamment observé un ver nématode nommé «Caenorhabditis elegans», et découvert que le taux d’oxydation de ses ovocytes diminuait fortement au moment de la reproduction. «Une fois le processus mis en évidence, nous serons capables d’identifier les gènes et les protéines correspondantes qui pourraient ralentir le vieillissement chez l’être humain.» Le chercheur emploie aussi une autre approche: «Nous analysons l’impact de certains gènes qui ont le potentiel d’augmenter la longévité de l’organisme.» Il en existerait une cinquantaine, ayant notamment un impact sur la résistance au stress. «Le problème, c’est que si on les active, on risque de mettre en danger les capacités reproductives de l’humain.» Le chercheur a déjà déposé des brevets sur certains gènes, comme le nhr-80: «Nous continuons notre travail, mais nous sommes encore à plusieurs années avant de commencer des expérimentations sur un être humain.»


5 Les promesses de la méduse immortelle

En 1988, un jeune chercheur allemand, Christian Sommer, découvre la méduse «Turritopsis dohrnii» sur les côtes italiennes, lors d’une recherche sur les hydrozoaires. Il remarque alors que les petits êtres transparents ne meurent pas. En 1996, une équipe de chercheurs constate que cette méduse peut retourner à l’état de polype, la plus jeune étape de sa vie, à n’importe quel moment. L’être gélatineux peut ainsi «échapper à la mort» et devenir immortel. Une transformation comparable à celle d’un poulet qui pourrait redevenir un œuf, puis un poussin. Cette découverte a attiré l’attention d’un chercheur japonais, Shin Kubota, qui est convaincu que cette méduse détient la clé de la longévité chez les humains. L’homme a publié plus d’une cinquantaine d’articles scientifiques sur le fonctionnement de ces créatures. Il n’a pas encore percé le secret de leur immortalité.


6 Une molécule pour rallonger la vie

Rafael de Cabo travaille pour le National Institute on Aging, un institut gouvernemental créé par le Congrès américain en 1974 pour étudier le prolongement de la vie. Il a notamment découvert que l’activation de la protéine sirtuine 1 retardait le déclenchement des maladies causées par la vieillesse. «Nous avons utilisé une petite molécule nommée SIRT1720 sur des souris, pour augmenter leur taux de sirtuine 1», explique le chercheur d’origine espagnole. Il a donné une dose de 100 mg de SRT1720 à des souris âgées de 6 mois jusqu’à la fin de leur vie. Résultat: l’espérance de vie des souris a augmenté de 8,8% et leurs fonctions musculaires se sont améliorées. A l’inverse, leur poids et la proportion de graisse dans leur organisme ont diminué. «Notre recherche a montré que nous pouvons développer des molécules pour diminuer les effets des maladies métaboliques et chroniques liées au vieillissement.» Le National Institute of Aging prévoit de lancer des tests cliniques d’activateurs de sirtuine 1 courant 2014.



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Réglementer la production

Le développement de médicaments qui soignent le vieillissement peut être sensible du côté de l’industrie pharmaceutique. «Les traitements qui seront développés seront principalement préventifs, explique Hugo Aguilaniu. L’industrie pharmaceutique pourra en théorie vendre un nombre infini de médicaments. Jusqu’où ira-t-elle? Je crains que ces compagnies ne soient pas à même de fixer des limites raisonnables.»

Le chiffre d’affaires généré par ces médicaments pourrait potentiellement être quasi infini: «Il faudra une régulation externe», affirme l’expert de la longévité. Autre obstacle, pour prouver que ces médicaments augmentent la longévité, il faudrait réaliser des essais cliniques sur une durée de 50 ans. «Ce qu’aucune compagnie n’aurait les moyens de faire», dit-il.

Prévenir les répercussions sociales

Tout être humain doit mourir un jour. Certaines personnes estiment que prolonger artificiellement la vie d’un être humain serait contre nature. «Certaines personnes pensent qu’il faut distinguer le vieillissement et les maladies liées à l’âge, ce qui est absurde, estime Aubrey de Grey. Nous cherchons à ralentir l’accumulation des dégâts corporels pour finalement soigner les maladies causées par le vieillissement. Il s’agit uniquement de médecine préventive.» Rallonger l’espérance de vie va aussi poser un énorme défi à la société: «Les répercussions sociales vont être dramatiques, explique Rafael de Cabo. Comment vont s’occuper des gens qui vivent jusqu’à 120 ou 150 ans? Comment payer leur prise en charge? Il faudrait prévoir une profonde refonte de la société.» Le chercheur japonais Shin Kubota estime aussi que la croissance démographique risque d’être ingérable.