Innovation
Texte: Patricia Michaud

Burn-out et Big Data

En constante augmentation au sein de la population, le burn-out reste difficile à diagnostiquer. Une équipe de recherche bernoise imagine une méthode pour identifier la maladie grâce à l’intelligence artificielle.

En Suisse, près de trois salariées sur dix se situent dans une zone de stress dite critique. Concrètement, ces personnes éprouvent davantage de contraintes liées au travail que de ressources pour y faire face, selon la dernière édition du Job Stress Index*. Cette part de la population active sous pression – qui était d’une sur quatre en 2014 –, a probablement encore augmenté durant la pandémie, anticipent les premières observations. La même étude chiffre à 7,6 milliards par an le coût du stress professionnel pour les entreprises. Il faut dire que le nombre d’arrêts de travail explose depuis quelques années. Toujours en 2020, des statistiques compilées par les assureurs Swica et PR Rück montraient qu’ils avaient grimpé de 50% depuis 2012.

Ils concernaient un épuisement au travail ou une dépression.

Le burn-out serait-il la maladie du XXIe siècle ? C’est en tout cas ce que laisse penser le titre du livre publié par les psychologues Anny Wahlen et Nadia Droz**. Un fléau qui ne cesse de prendre de l’ampleur à l’ère de la
numérisation, du multitasking et de l’accélération du rythme de travail. Malheureusement, les avancées en matière de détection de l’épuisement au travail ne suivent pas la cadence. Raison principale : la difficulté à poser un diagnostic, du moins si l’on se base uniquement sur les symptômes, explique Nadia Droz.

En effet, « les personnes en burn-out souffrent de symptômes qui peuvent être émotionnels, cognitifs, comportementaux, sociaux ou psychosomatiques ; je n’ai encore jamais vu deux personnes qui présentaient exactement les mêmes symptômes », poursuit la praticienne basée à Lausanne, qui intervient entre autres au CHUV dans les cours de prévention du burn-out.

Parmi les symptômes les plus fréquents de la maladie, on peut citer les maux de tête, les troubles du sommeil, la baisse de confiance en soi ou encore les troubles gastro-intestinaux.

Traitement automatique du langage

De l’avis des spécialistes, la détection du burn-out –
qui consiste en premier lieu en un épuisement dû à
un stress chronique au travail et non pas en une atteinte à la santé psychique – est un enjeu de société majeur. Dans ce contexte, les résultats d’une étude menée à la Haute école spécialisée bernoise, publiés en avril 2022 dans la revue Frontiers in Big Data, ont attiré l’attention. L’équipe
de recherche de Mascha Kurpicz-Briki a développé une approche novatrice, qui s’appuie sur le traitement automatique du langage.

« Actuellement, le burn-out est souvent diagnostiqué grâce à des tests psychologiques qui consistent à obtenir des réponses graduées du type ‹ Je me sens à bout à la fin de ma journée de travail : jamais/quelquefois/chaque jour › », constate Mascha Kurpicz-Briki. Le hic ? Les personnes interrogées peuvent être tentées d’influencer les résultats en évitant de cocher les réponses les plus extrêmes. « Des questionnaires ouverts et plus complets sont bien sûr aussi utilisés par les spécialistes ; mais ils nécessitent un important travail d’analyse », poursuit la responsable du projet. « Notre équipe s’est demandé si l’intelligence artificielle pourrait permettre de contourner ces écueils, ou du moins apporter sa contribution à la problématique de la détection du burn-out. »

Pour ce faire, l’équipe a passé au crible – grâce au traitement automatique du langage – des textes figurant sur le forum anglophone en ligne Reddit, qui propose des discussions par thèmes. « Nous avons analysé plus de 13’000 extraits anonymisés, dont certains provenaient de discussions sur le burn-out et certains de discussions sur d’autres sujets », rapporte Mascha Kurpicz-Briki. L’équipe a ainsi été en mesure de mettre au point une méthode
qui évalue si le langage contenu dans des textes relève ou non de l’épuisement professionnel. Une idée couronnée de succès, puisque « dans 93% des cas, le burn-out a été identifié correctement ».

Pas reconnu comme maladie

Aussi prometteuse soit-elle, cette piste doit encore être consolidée. « L’étape suivante consiste à tester notre méthode dans un contexte clinique. » Il s’agira notamment de dresser, en collaboration avec des spécialistes du burn-out, une liste de questions ouvertes qui seront posées
à un échantillon représentatif de la population. Puis d’essayer la méthode sur les réponses obtenues, idéalement dans les langues nationales. Mascha Kurpicz-Briki avertit : « Même si nos résultats sont validés, cela ne veut pas dire que du jour au lendemain, on pourra
mettre sur le marché un outil permettant aux responsables RH de détecter en trois clics le burn-out dans les entreprises ou un auto-test rapide pour les collaborateur.trices. »
La chercheuse imagine plutôt un logiciel destiné aux psychologues ou aux médecins, qui les aideraient dans leur démarche et viendrait compléter les méthodes existantes. « En ce sens, il faut parler d’intelligence augmentée plutôt que d’intelligence artificielle ; elle soutient l’humain mais à la fin, c’est à lui que revient la tâche
du diagnostic. »

Nadia Droz le confirme, « actuellement, la méthode
de détection du burn-out la plus efficace est l’anamnèse, c’est-à-dire le récit des antécédents de la personne concernée ». Reste que toute forme d’exploration
qui – à l’image de celle de la Haute école spécialisée bernoise – permet de faire avancer les choses en matière de diagnostic et de classification « est la bienvenue », relève la psychologue. L’épuisement professionnel n’est pas considéré comme une maladie par les autorités helvétiques. En juin 2019, le Conseil national a rejeté une initiative parlementaire socialiste demandant que
le burn-out soit pris en charge par l’assurance accidents
de l’employeur plutôt que par l’assurance maladie de l’employé. Quant à l’OMS, même si elle n’a pas franchi le pas, elle a reclassifié en 2019 le burn-out en tant que syndrome résultant d’un stress chronique au travail et non plus seulement en tant qu’état d’épuisement.

Changer la culture d’entreprise

Contrairement à d’autres pays comme l’Italie, en Suisse,
le burn-out n’est pas reconnu comme une maladie professionnelle. Or, cette classification
comporte de nombreux avantages. Notamment de meilleures mesures de réinsertion pour les salariées concernées, une déculpabilisation des personnes touchées (puisque la responsabilité de la pathologie retomberait sur l’employeur.euse), ainsi qu’une meilleure vision d’ensemble du phénomène (en raison du devoir d’annonce) et, dans la foulée, la possibilité de repérer les entreprises dans lesquelles le phénomène est particulièrement fréquent.
En outre, cette reconnaissance par l’assurance accidents pourrait inciter les entreprises à mettre en place des mesures de prévention et de détection précoce.

Et l’enjeu est de taille : plus il est pris en charge tardivement, plus l’épuisement professionnel s’installe dans la durée. « Dans le cas d’un burn-out, il faut compter en moyenne entre trois et six mois d’arrêt de
travail »,
avertit Nadia Droz. Mais la prévention a aussi son prix. « Pour qu’elle soit efficace, les entreprises devraient
transformer en profondeur leur culture, être vraiment à l’écoute des collaborateur.trices, procéder à des débriefings réguliers. » Les managers devraient par exemple être incités à agir dès que des plaintes à répétition concernant la charge de travail ou les horaires remontent jusqu’à eux. « Le problème, c’est que cela va à contresens de la logique – encore très présente actuellement – des entreprises ‹ kleenex › : elles sont ravies d’engager des gens hyper-motivés, qu’elles jettent ensuite sans trop d’états d’âme lorsqu’ils sont épuisés en raison de leur sur-engagement. »

Cependant, par rapport à la génération précédente, la société considère aujourd’hui le burn-out comme un sujet important notamment en entreprise et il est davantage pris au sérieux. /

Le repérer pour mieux l’éviter

Les symptômes ressentis en cas de burn-out peuvent s’apparenter à ceux de la dépression ou
de l’anxiété. Les spécialistes ont également constaté que les personnes concernées ont tendance à sous-
estimer les premiers signes d’alerte ou à chercher à les masquer par peur d’être perçues comme
des individus moins résistants.

Signes d’alerte

→ Préoccupations liées à l’activité professionnelle durant les congés

→ Moins de productivité malgré un plus grand investissement

→ Négligence des relations avec les proches au profit du travail

→ Difficultés de concentration

→ Problèmes de mémoire

→ Difficultés à l’endormissement

→ Augmentation de la consommation de substances stimulantes

Prévenir le burn-out

→ Veiller au respect des besoins primaires (alimentation, sommeil, activité physique)

→ Réserver du temps pour le repos et la récupération

→ S’assurer du bien-fondé des exigences imposées

→ Fixer des priorités

→ Déléguer des tâches

→ Chercher du soutien auprès de cheffes ou collègues



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*L’étude a été publiée par Promotion Santé Suisse en 2020.

**« Burnout, la maladie du XXIe siècle ? » Anny Wahlen et Nadia Droz, 2018, Éditions Favre.