Innovation
Texte: Chloé Thomas-Burgat
Photo: Philippe Gétaz

Comment un placenta peut vous sauver la vue

Un pansement ophtalmique constitué de membrane amniotique soigne chaque année des dizaines de patients atteints de pathologies de l’œil. Découverte de ce tissu aux propriétés inégalées.

Le placenta possède des propriétés exceptionnelles. Cet organe éphémère, qui connecte l’embryon à l’utérus, fournit les éléments nutritifs nécessaires à la croissance du fœtus et se révèle également très utile comme pansement biologique. Anti-inflammatoire et antibactérienne, la membrane amniotique contient des facteurs de croissance qui accélèrent la cicatrisation, dont les bénéfices dépassent tous les autres traitements disponibles sur le marché. On l’emploie en premier lieu, sous forme de greffe, en chirurgie ophtalmique. «Le placenta a le grand avantage d’être exempt d’antigènes, ce qui réduit significativement le risque de rejet», s’enthousiasme la Dre Kattayoon Hashemi, spécialiste de la chirurgie réfractive et de cornée à l’Hôpital ophtalmique Jules-Gonin de Lausanne.

Mais par quel processus un organe peut-il se transformer en pansement? Tout commence par une césarienne programmée. «Il est primordial que le placenta reste dans un environnement stérile, ce qui rend tout prélèvement lors d’un accouchement par voie basse inenvisageable», explique Michaël Nicolas, responsable de la Banque des yeux à l’Hôpital ophtalmique. Environ trois semaines avant son accouchement au CHUV, la future maman se voit donc proposer de faire don de son placenta.

«C’est une procédure peu connue des soignants et du public, puisqu’un seul placenta suffit à produire entre 20 et 30 pansements et que nous avons besoin de 35 à 40 greffons par an. Deux placentas par année nous suffisent amplement», précise Michaël Nicolas.

Le responsable de la Banque des yeux se charge également de faire parvenir aux médecins assistants de la maternité ce protocole exceptionnel.

Des pansements de 2 à 5 cm2

Dès son extraction, le placenta est plongé par le médecin de la maternité dans un récipient contenant des antibiotiques. «Nous apportons tout le matériel nécessaire la veille pour éviter de nous immiscer dans la salle d’accouchement», note le responsable. Une fois dans la boîte, l’organe éphémère, encore souvent considéré comme un déchet, devient un précieux produit qui va être traité avec toute la minutie nécessaire.

Les techniciennes de la Banque des yeux vont commencer par laver le placenta à la main. Des tests bactériologiques sont effectués à chaque étape de lavage. Puis, elles séparent le chorion – couche la plus externe du placenta – de la membrane amniotique, pour finalement ne garder que cette dernière. Tout ceci sous une hotte à flux laminaire qui garantit un environnement stérile. Vient ensuite la phase de découpe. «Les chirurgiens ont besoin de différentes surfaces, car ils doivent parfois replier la membrane sur elle-même pour combler de larges et profondes blessures oculaires. Nous produisons donc des pansements qui mesurent entre 2 et 5 cm2 », note Michaël Nicolas. Les greffons sont ensuite congelés et peuvent être utilisés sur une période de deux ans. Avant la greffe, une dernière étape de lavage et des tests bactériens sont effectués pour leur utilisation au bloc opératoire.

Aucun risque de rejet

Ulcères, destruction de la surface de la cornée par trauma ou brûlure chimique, perforation du globe oculaire, ptérygion (invasion de la cornée par la croissance du tissu conjonctif), préparation du terrain pour une greffe de cornée: les utilisations de ce type de pansement sont multiples.

Littéralement greffée sur la surface de l’œil à l’aide d’une suture ou d’une colle spéciale, la membrane s’intègre au globe oculaire ou reste en surface comme une lentille.

Elle n’est ainsi jamais retirée. Des gouttes ou des lentilles ont plus ou moins les mêmes propriétés que ces pansements biologiques, mais les lentilles augmentent le risque d’infection et les gouttes celui de développer une cataracte ou un glaucome. Sans compter le fait qu’il s’agit de traitements onéreux. Pratiquée depuis une quinzaine d’années à Lausanne, la greffe de membrane amniotique, testée pour la première fois dans les années 1940, a donc encore de beaux jours devant elle.

L’Hôpital ophtalmique Jules-Gonin fête ses 175 ans

Le 3 janvier 1843, Elisabeth de Cerjat, soignée pour une cataracte, Frédéric Recordon, ophtalmologue, et William Haldimand, ancien banquier et mécène, se rencontrent à Lausanne. Ces trois personnages, qui n’ont a priori rien en commun, évoquent ensemble la création d’un hôpital pour soigner les problèmes oculaires et d’une institution pour l’éducation et la formation des jeunes handicapés de la vue. Dans les années 1970, l’institution est officiellement baptisée Hôpital ophtalmique Jules-Gonin en hommage au célèbre ophtalmologue vaudois du même nom. Aujourd’hui, plus de 600 collaborateurs travaillent au sein de l’Hôpital ophtalmique, mais aussi au Centre pédagogique pour élèves handicapés de la vue, à l’EMS Recordon, à Lausanne, et à l’EMS Clair-Soleil, à Écublens. À ce jour, l’établissement Jules-Gonin reste le seul hôpital ophtalmique de Suisse.



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Ci-dessus:

Greffe de cornée à l’Hôpital ophtalmique Jules-Gonin.

Banque des yeux

Laboratoire où biologistes et techniciens assurent le prélèvement, le transport, la conservation, l’évaluation et la distribution de tissus oculaires tels que les cornées en provenance de donneurs.

Organe éphémère

Créé pour approvisionner le fœtus durant une grossesse, le placenta termine en général sa course dans un incinérateur hospitalier. Depuis quelques années, l’organe retrouve ses lettres de noblesse acquises au Moyen Âge – on lui prêtait alors des vertus magiques. On l’utilise aujourd’hui dans le domaine médical et certaines femmes en font faire des granules homéopathiques pour lutter contre la dépression post-partum.

Antigènes

La présence de ces macromolécules permet aux anticorps de déclencher une réponse immunitaire. Celle-ci a pour but de rejeter le «non-soi». Une réaction qu’il faut absolument éviter en cas de greffe.