Décryptage
Texte: Andrée-Marie Dussault

Les mystères de la très douloureuse endométriose

Elle touche au moins une femme sur dix, peut causer des douleurs importantes et mener à l’infertilité. Pourtant, l’endométriose reste souvent décelée trop tard. Un test salivaire pourrait accélérer son diagnostic.

Un an après ses premières règles, à 12 ans, Madeleine* a commencé à avoir mal au ventre durant ses menstruations. « Je me tordais de douleur et je ressentais de fortes crampes qui m’empêchaient d’aller à l’école, se souvient la jeune femme aujourd’hui âgée de 23 ans. C’est seulement à partir du moment où mon endométriose a été diagnostiquée que mon entourage a compris que je n’exagérais pas. » C’est assez récemment que la médecine a pris conscience que les règles douloureuses peuvent en réalité cacher une pathologie. « En consultation, on a longtemps dit aux femmes concernées que les douleurs liées à leurs règles n’étaient pas graves. On leur prescrivait la pilule, sans chercher la cause du mal », rappelle Chahin Achtari, médecin-chef au Service de gynécologie du CHUV. Le dépistage de l’endométriose s’est aujourd’hui systématisé.

Selon l’OMS, l’endométriose touche une femme sur dix en âge de procréer. La maladie est provoquée par une prolifération anormale de l’endomètre, la muqueuse de l’utérus, en dehors de sa cavité. Si son origine reste mystérieuse, la diversité des symptômes dépasse largement les solutions thérapeutiques disponibles actuellement. « Les symptômes varient selon les endroits où s’implantent les cellules de l’endomètre, précise Chahin Achtari. Si elles sont présentes sur les parois du vagin, il peut y avoir des douleurs lors des rapports sexuels. Si les cellules de l’endomètre s’infiltrent dans le rectum, il peut y avoir des douleurs, voire des saignements, lors du passage des selles. Ces sensations sont souvent cycliques et empirent systématiquement les jours précédant les règles puis pendant les règles. »

L’hypothèse de la menstruation rétrograde

Les personnes touchées par l’endométriose n’ont pas un profil particulier. « Dans certaines familles, elle est plus présente, mais on ne sait pas encore si cela est attribuable à des raisons génétiques, épigénétiques ou à des causes extérieures », indique Chahin Achtari. Les causes exactes restent une énigme pour le corps médical. L’hypothèse la plus partagée est qu’elle serait attribuable à la menstruation rétrograde. Lors des menstruations, qui sont normalement évacuées par le col de l’utérus, du sang reflue vers la cavité abdominale, emportant au passage des cellules de l’endomètre vers le ventre. « Les cellules s’implantent alors sur la surface du péritoine – la membrane qui tapisse l’abdomen, le pelvis et les viscères – et, comme une graine, arrosées par la douche hormonale, elles poussent. » Cette hypothèse ne convainc qu’une partie des spécialistes. « Elle n’explique pas toutes les formes d’endométriose, comme celles dans la zone thoracique ou du rétropéritoine isolé », fait valoir Nicola Pluchino, anciennement responsable du Centre d’endométriose des Hôpitaux universitaires genevois (HUG) et désormais médecin-adjoint au CHUV. Un autre enjeu majeur de l’endométriose est son impact sur la fertilité. D’après l’association EndoFrance, 30 à 40% des personnes touchées par la maladie sont confrontées à des problèmes d’infertilité. Des recherches sont menées à ce sujet, notamment à Genève. « Nous avons créé un lien fort entre les gynécologues et les médecins qui s’occupent de la fécondation in vitro », indique Nicola Pluchino.

Le manque de traitements

La prise en charge varie selon les symptômes. « Les solutions qui n’impliquent pas une intervention ont pour but de supprimer les douleurs, ou au moins de les réduire, à l’aide d’un traitement hormonal, une pilule contraceptive ou un stérilet à hormones », explique le médecin, soulignant que ces techniques ne guérissent pas la maladie. La laparoscopie, une intervention chirurgicale à l’aide d’un instrument muni d’une petite caméra, permet d’examiner la cavité abdominale et d’enlever les lésions pathologiques. Pour Chloé*, 27 ans, chercheuse à l’université, ses menstruations qui ont débuté à 14 ans se sont toujours accompagnées de grandes douleurs. « Mon endométriose n’avait pas encore été diagnostiquée. Une pilule microdosée m’avait été prescrite à 15 ans comme moyen de contraception. J’ai eu nettement moins de douleurs, mais au bout de quelque temps, elles sont revenues. »

Au Centre d’endométriose des Hôpitaux universitaires de Genève (HUG), Nicola Pluchino et son équipe déplorent un manque de traitements. « La pilule et la laparoscopie, les piliers actuels du traitement de l’endométriose, ne suffisent pas », estime le gynécologue. L’établissement est considéré comme un centre d’excellence par la European Endometriosis League pour son activité de recherche. Nicola Pluchino regrette cependant l’insuffisance des fonds dédiés à ce sujet alors que les besoins sont immenses. « Ce manque peut s’expliquer par le fait qu’il ne s’agit pas d’une maladie mortelle. D’autre part, l’endométriose est associée aux menstruations et à l’infertilité, des thématiques encore souvent taboues. »

Anticiper le diagnostic

Il y a une dizaine d’années, poser un diagnostic pouvait prendre jusqu’à sept ans. «Durant la première année de douleurs, j’ai consulté la gynécologue de ma mère, raconte Chloé*. Elle m’a dit que c’était normal d’avoir mal. Un jour, alors que j’étais encore adolescente, j’ai dû me rendre aux urgences, car je n’arrivais plus à bouger les bras à cause de la crispation qu’avait engendrée la douleur. Ces symptômes avaient alors été attribués à une crise d’angoisse. À 20 ans, j’ai rencontré une spécialiste sensible à ces questions qui m’a fait tous les examens gynécologiques possibles et qui a détecté une adénomyose, une forme d’endométriose interne à l’utérus. »

Actuellement, il existe des outils dédiés, notamment l’échographie et l’imagerie par résonance magnétique (IRM), qui permettent de raccourcir les délais de diagnostic. «À la fois durant leur formation et leur pratique, les médecins sont aujourd’hui davantage confrontées à l’endométriose, de sorte qu’elle est plus rapidement diagnostiquée », ajoute Nicola Pluchino. Depuis l’ouverture
du centre, fin 2015, le nombre de patientes a été multiplié par dix. «Chaque année, nous comptons 300 nouveaux cas. Actuellement, nous faisons 2000 consultations et procédons à 150 laparoscopies par an. »

Cependant, lorsque la maladie est identifiée par ces biais, il est souvent trop tard. De plus, certaines formes de la maladie ne sont pas visibles avec ces technologies lors des stades précoces. «Un marqueur salivaire, plasmatique ou urinaire pourrait totalement changer la prise en charge dans ce domaine. » C’est précisément ce que propose la start-up française Ziwig: l’Endotest, un test salivaire permettant de dépister l’endométriose. «Notre priorité est que toutes les femmes du monde aient accès à un diagnostic rapide, et cela, dans les meilleures conditions possibles », indique son fondateur, Yahya El Mir.
La technologie s’appuie sur de nouvelles techniques de séquençage. «Il s’agit d’un appareil mesurant d’un coup des milliers de biomarqueurs qui sont analysés et traités à l’aide de l’intelligence artificielle, fournissant un diagnostic précis. »
Nicola Pluchino et son équipe prônent un changement de culture médicale autour de l’endométriose. «Nous avons développé un environnement d’écoute privilégié, et nous prêtons une attention particulière aux symptômes de chaque patiente. Il existe désormais une grande flexibilité de sorte que les protocoles sont adaptés aux besoins spécifiques des femmes. » L’équipe opte pour une approche transdisciplinaire incluant des liens avec les services d’urologie, de chirurgie viscérale et thoracique,
par exemple. /

* noms connus de la rédaction

Mobilisations
De nombreuses initiatives sont menées pour mieux informer sur l’endométriose.
Une pétition comptant près de 20’000 signatures, lancée par les associations S-Endo et Endo-Help, pour la reconnaissance publique des souffrances liées à l’endométriose, a été déposée aux Chambres fédérales. Deux motions demandent par ailleurs un renforcement de la recherche sur l’endométriose ainsi qu’une campagne nationale pour sensibiliser la population et le personnel médical.
Le dernier samedi du mois de mars est dédié à l’Endomarch, une marche mondiale pour l’endométriose. La semaine européenne de prévention et d’information sur l’endométriose se déroule également en mars.
Le magazine Lyv, entièrement consacré à l’endométriose, propose des enquêtes, des chroniques, des interviews et des témoignages sur le sujet.
Sur les réseaux sociaux, plusieurs comptes sont consacrés au partage sur l’endométriose. Sur Instagram, on trouve notamment @balance_ton_endo, @mon.endo et @endo.neline.



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Chahin Achtari

Médecin-chef au Service de gynécologie du CHUV

Marilyn Monroe

La raison exacte de la mort de Marilyn Monroe à l’âge de 36 ans a souvent fait l’objet de diverses hypothèses. L’actrice s’est elle donné la mort, a-t-elle été assassinée ? Plus rarement évoqués, son endométriose et le traitement qui lui était administré pour lutter contre les douleurs pourraient expliquer sa mort.

L’un de ses biographes Anthony Summers raconte que déjà adolescente, Marilyn était terrassée par la douleur au moment de ses menstruations*. Plus tard, en 1952, alors qu’elle est officiellement opérée pour une appendicite, l’actrice aurait inscrit un mot sur son ventre suppliant le chirurgien de ne pas effectuer l’ablation de ses ovaires.

Les biographes font également état de nombreuses fausses couches, lui rendant la maternité impossible. Or, l’une des conséquences possibles de l’endométriose est justement l’infertilité.

*Source : « Endométriose : la maladie cachée
de Marilyn Monroe », Les Inrockuptibles, juillet 2017