Décryptage
Texte: LAURENCE JAQUET

Les seins vers la libération

SEINS : Le mouvement « pas de soutien-gorge » a gagné de l’ampleur lors de la crise sanitaire. De tout temps, le rapport à la poitrine féminine a révélé les valeurs et l’imaginaire de l’époque. Flash-back historique.

Le confort prendrait-il le dessus sur les conventions sociales ? Les jeunes femmes sont toujours plus nombreuses à libérer leur poitrine. Une enquête Ifop (Institut français d’opinion publique) réalisée après

le premier confinement a révélé à quel point le mouvement « no bra » (« pas de soutien-gorge ») avait gagné en importance : aujourd’hui, près de 18% des femmes de moins de 25 ans ne portent plus de soutien-gorge. Cette évolution du rapport à la poitrine, au fil des époques, a été analysée par la philosophe Camille Froidevaux- Metterie dans son livre Seins, en quête d’une libération.

L’auteure y évoque différentes perspectives comme la naissance des seins, la séduction et le plaisir sexuel, l’allaitement, mais aussi le poids des normes esthétiques, jusqu’à la transformation chirurgicale plus ou moins consentie. Ni trop gros ni trop petits, fermes sans être refaits, sensuels mais pas vulgaires, les seins n’échappent pas aux conventions de l’époque. Il en a, semble-t-il, toujours été ainsi. Tour d’horizon historique.

1/MYTHOLOGIE L’image du sein en tant qu’organe nouricier remonte à la nuit des temps. Cette statue de l’Égypte antique, datant de -330 avant J.-C., présente la reine Isis allaitant son fils Horus.

2/ On ne connaît pas l’auteur de cette étrange toile de 1594, caractéristique du style de l’école de Fontainebleau et exposée au Louvre. Selon l’interprétation dominante, il s’agit d’un geste par lequel la duchesse de Villars suggère la maternité de sa sœur Gabrielle d’Estrées en pinçant le mamelon de son sein droit.

3/RÉPUBLIQUE L’été dernier, le port de t-shirts jugés trop osés dans les écoles de France a incité le ministre de l’Éducation, Jean- Michel Blanquer, à demander aux élèves de respecter une « tenue républicaine ». De nombreux internautes ont saisi cette occasion pour partager, ironiquement, une peinture considérée comme un véritable symbole républicain, La Liberté guidant le peuple. Cette œuvre peinte par Delacroix en 1830 présente une poitrine largement découverte.

4/MANIFESTATION Banni par certains mouvements féministes occidentaux à partir des années 1970, le soutien-gorge devient le symbole d’une société bourgeoise, liberticide et misogyne. Les militantes n’hésitent pas, dès lors, à le brûler ou à le jeter dans des « poubelles de la liberté ».

5/PUDEUR En 2019, soit trois siècles et demi après la fameuse tirade du Tartuffe de Molière (« Couvrez ce sein que je ne saurais voir ; par de pareils objets les âmes sont blessées, et cela fait venir de coupables pensées »), la direction d’un parc touristique en périphérie de Djakarta, en Indonésie, a recouvert d’un tissu doré la poitrine de deux statues de sirènes au nom du respect des « valeurs orientales ».

6/« NIPPLEGATE » En février 2021, le chanteur Justin Timberlake a réitéré publiquement ses excuses à Janet Jackson pour lui avoir arraché une partie de son soutien-gorge lors du Super Bowl de 2004, dévoilant son bijou « nipple-shield » à des millions de téléspectateurs. C’est ce célébrissime incident télévisuel qui avait donné à l’entrepreneur Jawed Karim l’idée de créer YouTube.

7/MILITANTISME Les seins peuvent aussi être revendiqués comme armes d’affirmation et d’émancipation contre la sexualisation et le « male gaze » (regard masculin), comme ici lors de la Marche des Fiertés à Paris, en juin 2019.

8/CHIRURGIE La liberté de disposer de son corps et de ses seins, pour laquelle les femmes se battent toujours, c’est aussi la liberté de les modifier, par exemple dans le cas d’une chirurgie esthétique ou reconstructive de la poitrine.

9/BIOLOGIE Souvent partagée sur les réseaux sociaux, cette représentation des canaux lactifères a de quoi surprendre et émerveiller. En effet, de nombreuses personnes n’ont qu’une connaissance limitée du corps féminin, les images d’anatomie privilégiant presque systématiquement le corps masculin comme modèle.



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