Décryptage
Texte: PATRICIA MICHAUD

Quand le suicide fait boule de neige

Lorsqu’une célébrité se donne la mort, le taux de suicide augmente. Un phénomène appelé « effet Werther », qui touche particulièrement les adolescents. Les médias ont un rôle à jouer dans sa prévention.

Au XVIIIe siècle, l’Europe a été le théâtre d’une épidémie un peu particulière. Après la parution du roman Les souffrances du jeune Werther, on assista à une triste vague de suicides imitant celui du héros de Goethe. Trois siècles plus tard, ce phénomène de contagion suicidaire – désormais baptisé « effet Werther » – n’a malheureusement pas disparu. D’après une compilation d’études internationales, le passage à l’acte de célébrités est généralement suivi d’une hausse significative du taux moyen des suicides dans une population donnée. Après le décès de l’acteur Robin Williams, qui s’était donné la mort en 2014, les suicides auraient par exemple augmenté de 10% aux États-Unis. Le suicide de l’icône Marilyn Monroe en 1962 aurait pour sa part entraîné une augmentation de 40% des cas à Los Angeles. Quant à la mort du musicien Kurt Cobain en 1994, elle aurait fait gonfler la moyenne de près de 12% en France.

« Les mécanismes sous-tendant le suicide mimétique sont encore relativement mal élucidés, explique la pédopsychiatre Carole Kapp. En revanche, on connaît bien les facteurs qui favorisent l’effet Werther. » L’un des plus importants d’entre eux est la glorification de l’acte de la personne décédée par les médias sensationnalistes, qui mettent en avant le suicide comme la seule fin possible à ses souffrances. La spécialiste met par ailleurs en avant le grand rôle que joue l’identification dans la reproduction d’un suicide. « Souvent, la personne qui imite l’acte d’une célébrité a au moins un point commun avec elle. » Une recherche a ainsi montré que la majorité des personnes qui se sont suicidées peu après Robin Williams aux États-Unis étaient des hommes de 33 à 40 ans (l’âge qu’avait l’acteur dans ses rôles les plus connus).

EFFET PAPAGENO

« De façon générale, ce sont les adolescents qui sont les plus vulnérables face à l’effet Werther, car ils se trouvent dans une phase de recherche d’identification et de repères », note Carole Kapp. Elle cite notamment le risque de contagion dans les cas d’un suicide survenu à l’école ou dans l’entourage. Sans surprise, les personnes présentant un trouble psychique ou ayant déjà fait une tentative de suicide sont elles aussi plus exposées. « Mais il est important de rappeler que le suicide est toujours multifactoriel. Une personne ne va pas mettre fin à ses jours uniquement parce qu’elle lit un article décrivant le suicide d’une célébrité à laquelle elle s’identifie ; il faut plutôt parler de facteur précipitant. »

Il est possible d’éviter de nombreux suicides en mettant des ressources à la disposition des personnes concernées et en leur montrant qu’il existe d’autres options pour lutter contre la souffrance. On parle alors d’« effet Papageno », du nom du personnage de La flûte enchantée de Mozart. Malheureux en amour, il est sauvé du suicide par des amis lui présentant une autre voie que la mort.

RECOMMANDATIONS DE L’OMS

Du fait qu’ils constituent une véritable caisse de résonance, les médias ont un rôle clé à jouer. L’Organisation mondiale de la santé (OMS) a d’ailleurs édicté une série de recommandations concernant le traitement médiatique des suicides. « D’une part, il est conseillé d’éviter de valoriser le suicide comme un acte glorieux et de donner le moins de détails possibles sur la méthode et le lieu de l’acte », indique Carole Kapp. « D’autre part, il est judicieux de faire intervenir des experts et, idéalement, de présenter les témoignages de personnes ayant trouvé d’autres issues que le suicide. » Les médias sont par ailleurs invités à faire figurer les numéros d’aide à destination des personnes à risque. Même s’ils ont un rôle privilégié à jouer, les journalistes – tout comme les spécialistes de la prévention du suicide – ne sont pas les seuls à être en mesure de contrer l’effet Werther. « Il est important que davantage de personnes se positionnent comme des acteurs de la prévention du suicide. » Et la psychiatre de citer les autres professionnels de la santé, les enseignants ou encore les travailleurs sociaux. /



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