Décryptage
Texte: Carole Extermann

Se défaire de la honte de l'incontinence

Les patients atteints de fuites urinaires attendent en moyenne 10 ans avant de consulter. Pourtant, de nombreuses solutions thérapeutiques existent.

Le tabou lié à la difficulté de contrôler le besoin d’uriner – un problème qu'on associe généralement à la ménopause – s'aggrave encore lorsqu’il touche des personnes plus jeunes. En raison de leur urètre plus court et plus large que celui des hommes, l'incontinence urinaire frappe en majorité les femmes. Rares sont les hommes de moins de 40 ans qui en souffrent, alors qu'entre 20 et 25% des Suissesses de cet âge-là en sont affectées. «L’incontinence est souvent banalisée, explique Nuno Grilo, chef de clinique au sein du Service d’urologie du CHUV. Chez les femmes, elle a tendance à être considérée comme normale si elle intervient, par exemple, à la suite d’un accouchement. Or, ce n’est jamais le cas. L’incontinence est un signe de souffrance du corps qui ne doit jamais être négligé.» D'autant plus que lorsqu'elle se déclare de manière précoce, elle peut être un symptôme d'une maladie neurologique. Sophie*, 35 ans, en témoigne: «À l’âge de 19 ans, j’ai ressenti des troubles urinaires et je me suis rendue chez un spécialiste, qui m’a expliqué que mon incontinence était liée à une sclérose en plaques».

L’absence de contrôle de la vessie ou du sphincter de l’urètre, muscle qui retient l’urine dans la vessie, engendre différents types d’incontinence urinaire. Lorsque la perte involontaire est associée à une augmentation de la pression abdominale, provoquée par un éternuement ou un rire, il s’agit d’une incontinence urinaire d’effort, tandis que l’incontinence urinaire d’urgence est caractérisée par un besoin urgent et irrépressible de vider immédiatement la vessie. Cette distinction va orienter le traitement à suivre.

Traitements sur mesure

«En fonction du sexe, de l’âge du patient et de l’importance de l’incontinence urinaire, de nombreuses solutions sont envisageables, précise Nuno Grilo. L’objectif principal est de faire regagner le contrôle de la vessie. Cela peut passer par des séances de physiothérapie, par la prise de médicaments, ou par des interventions plus invasives comme l’injection d’un agent de comblement ou encore la disposition d’une bandelette pour soutenir l’urètre». Plus controversée, cette opération reste la plus fréquemment utilisée dans le traitement de l’incontinence urinaire d’effort de la femme: aux États-Unis, au cours des dix dernières années, pas moins de 3 millions de femmes l’ont subie. Elle consiste en une petite incision dans le vagin, sous l’urètre, afin d’introduire une bandelette semblable à un morceau de tulle qui fait office de «hamac». L’implantation d’un sphincter artificiel, plus souvent effectuée chez l’homme, constitue également une option pour les cas les plus critiques chez les femmes.

Au-delà de la méconnaissance des traitements, de nombreuses rumeurs circulent sur la douleur infligée par ces interventions. Samuel*, 29 ans, a à cœur de leur tordre le cou. À la suite d’une méningite qui a perturbé ses connexions neuronales, il souffre d’une vessie hyperactive, qui se manifeste par un besoin pressant de vider sa vessie sans pour autant y parvenir. Ce trouble nécessite les mêmes traitements que l’incontinence urinaire d’urgence. «Quand j’ai partagé mon expérience avec mon entourage, je me suis rendu compte que les interventions pour ce type de problème étaient souvent imaginées comme extrêmement douloureuses, en particulier le bilan urodynamique, qui nécessite la mise en place d’une sonde. Or si ce geste n’est pas agréable, il n’est pas aussi éprouvant que ce que l’on se représente.»

Dépasser la honte

Un important travail de sensibilisation doit être réalisé auprès des patients, mais aussi, et surtout, au niveau du personnel soignant, estime Nuno Grilo.

«Il est capital de rendre les médecins attentifs à cette problématique. La plupart des patients éprouvent énormément de gêne face à un problème urinaire. Il faut parfois poser plusieurs fois la question au patient, avant qu’il ne confie son incontinence.»

Difficile à aborder, ce trouble est pourtant loin d’être anodin. Les désagréments occasionnés par l’incontinence génèrent un isolement social qui peut mener à la dépression. Samuel confie la solitude dans laquelle sa maladie l’a enfermé: «Tous les dispositifs médicaux que j’ai été amené à utiliser semblaient être destinés soit aux personnes âgées, soit aux tétraplégiques, alors qu’en faisant quelques recherches je me suis rendu compte que de nombreuses jeunes personnes étaient touchées par l’incontinence.» Nuno Grilo insiste sur le fait que l’incontinence ne doit jamais être tolérée. Car plus la prise en charge thérapeutique est retardée, plus la maladie s’aggrave. «Peu importe l’âge auquel cela intervient, de nombreuses solutions existent pour améliorer le quotidien des personnes qui souffrent d’incontinence. L’urgence consiste à faciliter l’échange entre les médecins et les patients au sujet de ces troubles.»

*Noms connus de la rédaction



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