Décryptage
Texte: Julien Calligaro

De nouvelles pistes pour mieux dormir

Près d’un tiers de la population suisse souffre de troubles du sommeil. Les scientifiques développent des techniques allant d’applications connectées à la robotique pour vaincre ce fléau.

Rester éveillée devant la télévision ou jusqu’à la fin d’un film relevait il y a peu de la mission impossible pour Emilie Ostertag. «Même en pleine journée, durant mon travail ou pendant les repas, je subissais de profondes somnolences. Lorsque je prenais la voiture, j’étais obligée de m’arrêter régulièrement pour faire des micro-siestes.» L’état de fatigue permanent de la Genevoise de 31 ans avait également un impact sur sa vie sociale: «Lors de soirées avec des amis, j’étais toujours la première à rentrer!» Il y a deux ans, à la suite d’une visite chez son médecin pour de fortes migraines chroniques, Emilie Ostertag découvre qu’elle souffre d’hypopnée, ou apnée du sommeil modérée.

Ce trouble du sommeil est caractérisé par une obstruction partielle du pharynx qui entraîne une baisse de plus de 50% du flux d’air pendant au moins dix secondes, associée à une diminution du taux d’oxygène dans le sang ou à un micro-éveil. «Les apnées du sommeil sont plus fréquentes que ce que l’on pense», remarque Raphaël Heinzer, professeur associé et médecin chef au Centre d’investigation et de recherche sur le sommeil du CHUV.

L’étude de cohorte HypnoLaus, menée dans la région lausannoise sur plus de 5’000 personnes entre 2009 et 2013, a révélé que 49% des hommes et 23% des femmes présentent plus de 15 apnées par heure de sommeil.

Un autre chiffre témoigne du mauvais sommeil des Suisses. Près d’un tiers de la population souffre de difficultés à s’endormir ou d’insomnies, selon l’Office fédéral de la statistique. La prévalence augmente avec l’âge: 25% des 15-34 ans sont concernés, contre 40% des 65 ans et plus. Les adolescents constituent une catégorie particulièrement à risque. Une étude de l’Université de Bâle a montré que l’utilisation d’appareils électroniques diminuait la durée du sommeil et augmentait les troubles du sommeil. Raphaël Heinzer, du CHUV, estime ainsi qu’une personne sur deux présentera au moins un épisode d’insomnie dans sa vie.

En plus de conséquences sur la vie personnelle et professionnelle, les troubles du sommeil ont des répercussions sur la santé. «Les asphyxies répétées pendant la nuit engendrées par les apnées forcent le cœur à travailler de façon plus intense au moment même où il manque d’oxygène, explique Raphaël Heinzer. Les personnes souffrant d’apnées ont deux fois plus de risques d’avoir un AVC et un risque augmenté de maladies métaboliques telles que le diabète». Leur probabilité de souffrir d’une dépression augmente également.

Robot contre l'insomnie

D’où vient ce fléau qui empoisonne nos nuits? Selon Raphaël Heinzer, la réponse se trouve du côté de notre mode de vie: «En 100 ans, nous avons perdu une heure et demie de sommeil. Ce phénomène est aujourd’hui exacerbé, car la pression vers la performance est nettement plus forte qu’auparavant: on dort moins pour travailler davantage ou avoir plus de loisirs.» Les attentes face au sommeil ont aussi changé. «Nous voulons tout contrôler, y compris la façon dont nous dormons. Ceci est en partie dû à la médiatisation des troubles du sommeil et aux avancées scientifiques des 20 dernières années dans ce domaine. Vouloir contrôler son sommeil pour avoir de meilleures performances le lendemain risque d’aggraver la situation.»

Le spécialiste déconseille par exemple l’utilisation d’appareils électroniques pour analyser ses nuits: «Ils sont imprécis et n’aident pas à mieux dormir. Le meilleur juge de la qualité de son sommeil, c’est soi-même.»

Des traitements existent pour rendre la vie des personnes souffrant de troubles du sommeil moins pénible. Les cas d’insomnie psychophysiologique peuvent être traités sans médicament. Ce type de trouble est déclenché après une insomnie aiguë due à un événement difficile: certaines personnes développent une forme d’anxiété de ne pas pouvoir dormir et n’y arrivent effectivement plus. Raphaël Heinzer conseille alors des thérapies cognitivo-comportementales. «Il s’agit de techniques simples qui ont pour but de réorganiser le sommeil, telles que la restriction temporaire du temps passé au lit, explique le spécialiste. Cela passe également par un travail avec un psychologue pour se débarrasser de l’association négative avec le lit et reprendre confiance dans ses capacités à dormir.»

Une start-up néerlandaise issue de l’Institut de robotique de l’Université de Delft mise sur le recours à la technologie. Elle a développé un robot, baptisé «Somnox», pour améliorer la qualité du sommeil. Il s’agit d’un coussin en forme de cacahuète qui se gonfle et se dégonfle, imitant la respiration d’une personne endormie. Le principe: l’usager réplique inconsciemment le même rythme respiratoire que le robot afin de s’endormir plus rapidement. La machine a été présentée début 2018 et les premières livraisons sont prévues à la fin de l’année.

Une application pour détecter les risques

Plusieurs solutions existent aussi pour réduire les apnées du sommeil. Le support ventilatoire, appelé CPAP (Continuous Positive Airway Pressure), permet d’insuffler de l’air dans les voies aériennes à l’aide d’un masque qui couvre le nez ou le nez et la bouche. Cette pression s’oppose à la fermeture des voies aériennes à l’origine des apnées. Pour des troubles moins importants, une gouttière dentaire peut aussi être utilisée. Ce système avance la mâchoire pendant le sommeil pour dégager la trachée. De nouvelles techniques se développent également: «La majorité des apnées surviennent lorsque l’on dort sur le dos, note Raphaël Heinzer. Une start-up a récemment mis au point une bande que l’on place sur le thorax et qui vibre lorsque l’on se trouve dans cette position. Petit à petit, les personnes apprennent à ne pas dormir ainsi.»

Autre méthode: la pose d’un implant stimulant les nerfs contrôlant les fonctions respiratoires. C’est le principe du système «Inspire», utilisé pour traiter les apnées obstructives du sommeil. Analysant la respiration du patient, le dispositif envoie des impulsions au nerf hypoglosse, en charge des mouvements de la langue et de muscles liés aux voies respiratoires. «Ce traitement est réservé aux cas les plus difficiles ne supportant pas l’appareil ventilatoire», précise Raphaël Heinzer.

Les progrès viennent aussi des techniques de diagnostic. Pour éviter de passer des nuits à analyser le sommeil – des procédures coûteuses et dont la disponibilité est restreinte –, l’équipe de Raphaël Heinzer a mis sur pied un outil de dépistage.

Le score NoSAS, également disponible sur une application pour smartphones, permet d’identifier les risques d’apnée du sommeil.

Le questionnaire porte sur cinq facteurs: le tour de cou, l’indice de masse corporelle, le sexe, l’âge et les ronflements. «Si le total est en dessous de huit points, le risque d’apnée du sommeil est exclu avec une certitude de 90 à 95%, dit le spécialiste. À partir de huit, nous recommandons d’en parler à son médecin qui pourra, s’il le juge nécessaire, organiser un examen du sommeil.»



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«Nous avons perdu une heure et demi de sommeil depuis un siècle», remarque Raphaël Heinzer, médecin chef au Centre d’investigation et de recherche sur le sommeil du CHUV et professeur associé à l’Université de Lausanne.

En pourcentage, le nombre de Suisses qui a régulièrement recourt à des somnifères.

La proportion de la population suisse qui souffre de troubles du sommeil.

Les personnes âgées de 85 ans et plus sont presque deux fois plus souvent concernées par des troubles du sommeil que les jeunes de 15 à 24 ans (36% contre 19%).