Décryptage
Texte: Gary Drechou
Photo: Modèle moléculaire de la pénicilline par Dorothy Hodgkin, 1945 - Science Museum London / Science and Society Picture Library

Une molécule, une histoire: la pénicilline

Du «miracle» à la pénurie, retour sur l'épopée de la pénicilline.

En savoir plus:

*Échange entre le docteur Chauliac et le docteur Broch, capitaines de la 2e D.B. du général Leclerc, rapporté dans l'ouvrage Médecins au combat de Marc Flament (Pygmalion, pages 35, 36, 37)

- Je vais fabriquer de la pénicilline!

- Tu te prends pour le père Fleming...

- Pas du tout, je dirais plutôt le capitaine Duchesne, car c'est lui qui a pratiquement inventé la pénicilline, bien avant le toubib d'Oxford.*

Cet échange entre deux médecins français date d’octobre 1944, mais il pose le débat en paternité autour de la pénicilline, une substance sécrétée par un champignon, dont la découverte est à l’origine du concept d’antibiotique.

Si l’histoire bat la charade, c’est que notre jeune premier – le «capitaine» Ernest Duchesne – mit en lumière dès 1897, dans sa thèse de médecine, les propriétés curatives d’une moisissure au doux nom de «Penicillum glaucum», préfigurant de ce qui deviendrait l’antibiothérapie. Malheureusement pour lui, cette thèse sombra dans l’oubli et son importance ne fut reconnue qu’un demi-siècle plus tard.

Quant au second, Alexander Fleming, il oublia en 1928 une boîte de Petri dans son laboratoire, et, à son retour de vacances, constata qu’une moisissure du type de celle décrite par Duchesne avait empêché la croissance de ses cultures de staphylocoques. Par la grâce de cette erreur, mais fort inspiré, il isola une souche encore plus efficace, «Penicillium notatum», qu’il baptisa simplement «pénicilline». Aux yeux du monde, il en devint ainsi le découvreur, mais ne parvint pas à stabiliser cette souche, à la produire et à la purifier en quantité, conditions nécessaires pour développer ses propriétés.

Ce n’est donc qu’une dizaine d’années plus tard que la pénicilline entra réellement dans l’arsenal thérapeutique, purifiée et administrée aux premiers patients par le «toubib d'Oxford», le pathologiste Howard Florey, le biochimiste et pathologiste Ernst Boris Chain et le biologiste Norman Hatley. Après avoir fait l’objet d’essais cliniques sur des soldats britanniques blessés, la pénicilline fut utilisée pour soigner les plaies des Alliés. Puis, à partir de 1946, l’antibiotique fut disponible en pharmacie et systématiquement prescrit pour traiter syphilis, méningites et pneumonies.

Pour Thierry Buclin, chef de la division de pharmacologie clinique du CHUV:

«Ce qui est étonnant dans cette histoire, c’est qu’il ait fallu plus de 60 ans et une récupération militaire dans un contexte de guerre mondiale pour parvenir au concept d’antibiotique».

Aujourd’hui, seuls quatre groupes pharmaceutiques produisent encore sa substance active, alors que 18 pays ont connu une pénurie ces trois dernières années, d’après l’OMS. C’est que les premières résistances à la «bonne vieille pénicilline» sont apparues dès les années 1950, entraînant la création d’une multitude de substituts semi-synthétiques. Dans cette lutte entre champignons et bactéries, la «miraculeuse» pénicilline est devenue courante, perdant de sa superbe monétaire aux yeux des fabricants. ⁄



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