Décryptage
Texte: Stéphanie De Roguin
Photo: Steve Gschmeissner / Science Photo Library

Le gras, ça sert à quoi?

Souvent considérée comme nocive pour la santé, la graisse remplit des fonctions importantes pour l’organisme. Les chercheurs tentent aujourd’hui de les mettre en lumière.

L'essor rapide de l’obésité en ce début de XXIe siècle (600 millions d’adultes à travers le monde sont aujourd’hui concernés) a poussé les chercheurs à s’intéresser de près au tissu adipeux. Le gras représente certes un danger lorsqu’il s’accumule de manière importante, mais il est indispensable à la vie. «La pathologie rare appelée ’lipodystrophie’, caractérisée par une absence de tissu adipeux, est très grave», observe François Pralong, chargé de l’obésité, des troubles du comportement alimentaire et de la nutrition clinique au Service d’endocrinologie, diabétologie et métabolisme du CHUV.

Que sait-on déjà sur le rôle de la graisse? Certaines de ses fonctions positives sont connues depuis longtemps, par exemple celle de réserve d’énergie. Ce rôle est assumé par un type en particulier, la blanche, de manière particulièrement efficace. «Le tissu adipeux concentre 7 calories par gramme, alors que le tissu musculaire n’en contient qu’une par gramme», illustre le Prof. Abdul G. Dulloo, du Département de médecine et physiologie de l’Université de Fribourg.

La graisse blanche se divise en deux parties: le tissu sous-cutané et le tissu viscéral, ou intra-abdominal. C’est l’accumulation de graisses dans le second qui pose problème. «Nous ne parvenons pas encore à déterminer comment se fait la répartition entre les deux tissus lors d’un excès de nourriture», note François Pralong. On observe que les femmes concentrent de manière générale les excès dans le tissu sous-cutané, et les hommes plutôt dans le viscéral. Après la ménopause, le mécanisme des femmes s’apparente à celui des hommes, ce qui pousse à croire qu’il y ait un lien entre hormones sexuelles et tissu adipeux. «On observe d’ailleurs que les personnes anorexiques sont souvent infertiles», précise Abdul G. Dulloo.

La graisse brune, quant à elle, contribue à la régulation thermique du corps, produisant de la chaleur lorsqu’elle est activée. Très présente chez les nourrissons, qui jusqu’à l’âge d’une année ne possèdent pas la capacité de frissonner, elle existe chez l’adulte de manière passive. «Il y a énormément d’intérêt à activer cette graisse brune, et même à faire proliférer ces cellules graisseuses», estime le spécialiste. Avec des inconnues cependant: quelles conséquences cela aurait-il sur le système cardiovasculaire ou sur l’appétit?

Définir le niveau de satiété

Le tissu adipeux constitue lui-même une glande qui produit des hormones, appelées «adipokines». «La principale, la leptine, sert à définir notre niveau de satiété, explique François Pralong. Chacun de nous en possède une certaine quantité, proportionnellement à sa masse de tissu adipeux.» Découverte en 1994, la leptine a révolutionné la manière de considérer le tissu adipeux: celui-ci est alors devenu un organe endocrine en tant que tel. Deux autres hormones, l’adiponektine et la résistine, participent à la régulation du métabolisme des acides gras.

Réservoir de cellules souches

Depuis la fin des années 1990, une centaine de substances liées au tissu adipeux ont été découvertes. Récemment, des chercheurs américains ont mis en lumière le rôle des micro-ARN, qui influencent l’expression des gènes à travers le corps. Ceux-ci participeraient à faire communiquer le tissu adipeux de façon étroite avec d’autres organes, comme le cœur ou le foie. «Le tissu adipeux communique de toute façon avec les autres organes, via les hormones, avec le cerveau et le tissu musculaire, nuance François Pralong. En ce qui concerne les micro-ARN, la recherche est en cours, il est trop tôt pour envisager une application clinique.»

Enfin, le tissu adipeux est utilisé en chirurgie reconstructive, notamment dans les greffes de seins, note Annick Jeannerat, docteure en biologie à l’Unité de thérapie régénérative du CHUV. Les chercheurs sont même allés plus loin, puisque le tissu adipeux a récemment dévoilé un autre de ses atouts: il contient des cellules souches en grand nombre, beaucoup plus faciles d’accès que celles de la moelle osseuse. Pluripotentes, elles peuvent être dirigées en culture afin de devenir des cellules cardiaques, de cartilage, d’os, ou même neuronales. «La découverte de ce réservoir de cellules a suscité un énorme intérêt», souligne la chercheuse. De nombreux projets de recherche se penchent sur leur utilisation pour soigner les maladies cardiaques et les tendinopathies.

Une question reste toutefois en suspens: comment traduire
ces découvertes en traitements? «Vu la complexité de l’obésité, il est difficile d’imaginer en trouver dans un avenir proche, reconnaît Abdul G. Dulloo. Il faut poursuivre les recherches et absolument continuer à lutter en matière de prévention.» ⁄



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LES DIFFÉRENTS TYPES DE GRAS

Les acides gras poly-insaturés

Les acides gras poly-insaturés ne peuvent pas être synthétisés par l’organisme: ils sont donc apportés par l’alimentation, sous forme d’oméga 6 (huile de tournesol, de pépins de raisin, noix de Grenoble, graines de sésame) et d’oméga 3 (graines de lin, de chia, de chanvre, huiles de colza et de noix, maquereau, sardines, saumon). Dans l’idéal, ils correspondent à 10% des apports en graisse.

Les acides gras trans

Les acides gras trans ont une longue durée de conservation et résistent à des hautes températures de cuisson; ils sont très appréciés de l’industrie agroalimentaire. On les trouve dans les pâtisseries, les biscuits, la margarine, les céréales... Il faudrait les limiter à 2% des apports en graisse.

Les acides gras saturés

Les acides gras saturés se trouvent principalement dans les graisses d’origine animale (beurre, lait, crème, fromages, viande...) et dans certaines huiles (de palme ou de coco). Ils font monter le taux de «mauvais» cholestérol et contribuent à son

dépôt dans les artères, favorisant les risques cardio-vasculaires. Pour cette raison, ils ne devraient pas dépasser 25% des apports en graisse.

Les acides gras mono-insaturés

Les acides gras mono-insaturés se trouvent dans les graisses végétales (huile d’olive, d’arachide et de sésame...), les oléagineux, la viande et certains fruits gras comme l’avocat ou l’olive. Ils permettent de réduire le mauvais cholestérol et devraient représenter 65% des apports en graisse.