Décryptage
Texte: Julie Zaugg

Sexe et psychiatrie, un mélange explosif?

Les professionnels s’interrogent sur la question des relations sexuelles entre patients en hôpital psychiatrique de soins aigus. Certaines institutions romandes ont commencé à faire appel à des assistants sexuels.

Claude a passé plus de deux tiers de sa vie en hôpital psychiatrique. Condamné en 1975 pour avoir assassiné l’amant de sa compagne, le Français, aujourd’hui âgé de 69 ans, a d’abord passé huit ans en prison, avant d’être interné dans une unité pour malades difficiles.

En 2008, alors qu’il se trouvait dans le Centre hospitalier de Cadillac, à Bordeaux, il a revendiqué le droit d’avoir des relations sexuelles, «contestant le règlement interne de son unité, qui prohibait tout rapport de ce type», indique son avocat Pierre Burucoa. L’affaire est remontée jusqu’à la cour administrative d’appel de Bordeaux, qui lui a donné raison en janvier 2013, estimant que la sexualité était un droit fondamental, au même titre que le droit au respect de la vie privée garanti par la Convention européenne des droits de l’homme.

Ce cas – de par son contexte sécuritaire particulier – est exceptionnel. «On a toutefois affaire à un vrai tabou en France, note Pierre Burucoa. La question des relations sexuelles entre patients se pose dans tous les hôpitaux psychiatriques, mais aucun ne dispose de règles claires à ce sujet.»

La situation est différente dans le canton de Vaud, où les personnes comme Claude ne séjournent pas dans les hôpitaux psychiatriques, dans lesquels la durée moyenne de séjour est inférieure à un mois. «A l’hôpital de Cery (VD), les relations sexuelles, qui sont un droit fondamental, ne sont pas formellement interdites, mais le livre d’accueil demande aux patients de s’en abstenir durant leur séjour», confirme Philippe Conus, le chef du service de psychiatrie générale du CHUV. Il précise que «les hôpitaux psychiatriques vaudois ne sont plus des lieux de vie: les patients se trouvent pour la plupart en situation de crise aiguë et y résident pour une courte durée (20 jours en moyenne à Cery). Dans un tel contexte d’instabilité psychique, certains patients peuvent être vulnérables, ou leur discernement peut être gravement perturbé, ce qui justifie un certain degré d’attention de la part des soignants.»

Chez les handicapés mentaux, le tabou est tombé depuis longtemps

Si les relations sexuelles entre patients en psychiatrie sont vues d’un mauvais œil, celles impliquant les handicapés mentaux font désormais partie de la norme. «Le personnel des structures d’accueil est formé aux questions de la vie affective et sexuelle et les résidents bénéficient d’espaces de parole, détaille Catherine Agthe, sexopédagogue et directrice de l’association Sexualité et Handicaps Pluriels. Depuis une vingtaine d’années, on dispose également de réponses concrètes sous la forme de soirées de rencontres, de «slow dating,» de chambres doubles pour les couples et, depuis les années 2000, d’assistance sexuelle.»

Carmen Wegmann, de l’organisation Insieme, pense que la ratification par la Suisse de la Convention de 2006 relative aux droits des personnes handicapées a donné un coup d’accélérateur à la «normalisation» de tous les aspects de leur vie, y compris intime. Il subsiste toutefois de grandes différences entre institutions: «Certaines autorisent le partage de chambres et discutent très ouvertement de la sexualité de leurs résidents, alors que d’autres la nient, assurant que «ça» n’existe pas chez elles», indique-t-elle. La sexualité des personnes souffrant d’un handicap mental a aussi créé de nouveaux défis. «Leur soutien par une assistance sexuelle est essentiel, mais il arrive qu’elles s’attachent trop ou tombent amoureuses de la personne qui prodigue ce service», détaille Carmen Wegmann. La question d’une éventuelle grossesse n’est pas non plus réglée. «Avoir un enfant fait partie des droits fondamentaux, mais cela reste très compliqué en pratique, dit-elle. Souvent, ces femmes ont elles-mêmes besoin d’un soutien au quotidien.»

Cette prudence renvoie à la crainte de provoquer de la souffrance. «Les personnes qui se font hospitaliser en psychiatrie sont dans une situation de grande détresse et vulnérabilité, souligne la psychiatre Giuliana Galli Carminati, ancienne médecin-adjointe à l’hôpital de Belle-Idée, à Genève. Ils ne sont pas à même de prendre une décision réfléchie sur leur sexualité.» Derrière ce postulat se trouve la question du discernement, particulièrement difficile à évaluer chez les personnes soumises à des pulsions ou des hallucinations.

Le désir sexuel peut également conduire à la remise en question du traitement médicamenteux: «Les neuroleptiques peuvent induire l’impuissance, indique Philippe Conus. Il arrive ainsi que des patients arrêtent de les prendre pour éviter cet effet désagréable. C’est l’une des raisons pour lesquelles nous discutons régulièrement avec eux de tous les effets secondaires, pour chercher des alternatives et les aider à vivre une vie normale.»

Autre danger, le désir sexuel fait parfois carrément partie des symptômes de la maladie. «Certains états maniaques chez les patients bipolaires sont associés à une tendance à la promiscuité et à la désinhibition», détaille Philippe Conus.

Certains troubles sont associés à des comportements imprévisibles. «Les personnes avec des perversions sexuelles peuvent devenir violentes ou dangereuses, indique Catherine Agthe, sexopédagogue et présidente de l’association Sexualité et Handicaps Pluriels. D’autres présentent des tendances pédophiles ou des pulsions fétichistes qu’elles cherchent à imposer à autrui.»

La question de la sexualité des patients en psychiatrie soulève en outre un énorme non-dit. «Derrière cet interdit se cache la peur que le rapport ne débouche sur une grossesse, sur un enfant dont l’éducation ne pourra pas être assumée», relève Jean-Louis Korpès, professeur à la Haute école fribourgeoise de travail social.

«Il n’est évidemment pas question d’interdire à une patiente de tomber enceinte, mais avant qu’elle ne prenne cette décision, on va discuter avec elle, voir si c’est le bon moment dans sa vie et quelles sont ses capacités pour entourer l’enfant, note Philippe Conus. Cela permettra de mettre sur pied un encadrement étroit en cours de grossesse et après l’accouchement.» Il précise que le risque de dépression post-partum est exacerbé chez les femmes souffrant d’un trouble psychique et que certains médicaments n’étant pas compatibles avec une grossesse, il faudra ajuster le traitement.

Derrière l’interdit de la sexualité des patients en psychiatrie, se cache la peur que le rapport ne débouche sur une grossesse inassumable.

Il semblerait que la prohibition des relations sexuelles soit peu judicieuse. «Une partie des patients cherchera
de toute manière à transgresser l’interdit», fait remarquer Catherine Agthe. Et lorsque les relations sexuelles se déroulent de façon clandestine, elles peuvent mener à des dérives bien plus graves que l’acte lui-même. «On en arrive à des situations scabreuses, des gens qui ont des relations dans les toilettes ou dans les jardins, détaille Jean-Louis Korpès. En raison du manque d’information fourni et de l’absence de moyens de contraception, cela risque aussi d’aboutir à la transmission de maladies sexuelles.»

Dans certains cas, le recours à des assistants sexuels pourrait représenter une nouvelle piste. Ces personnes formées pour apporter une aide sexuelle aux personnes handicapées œuvrent en Suisse romande depuis 2009 et outre-Sarine depuis le début des années 2000. «A Genève, les services de psychiatrie collaborent déjà ponctuellement avec nous, indique Catherine Agthe, dont l’association gère la formation des assistants et assistantes sexuels romands. A Lausanne, ils commencent à s’y intéresser.» Quelque 20% des demandes enregistrées par l’association Sexualité et Handicaps Pluriels émanent de personnes avec des troubles psychiques.

«Si l’un de nos patients était agressif ou tendu, et que cela paraissait lié à une frustration sexuelle, il arrivait que nous fassions appel à une assistante sexuelle», confirme Giuliana Galli Carminati, en évoquant la pratique de l’hôpital genevois de Belle-Idée. Chaque cas devait cependant faire l’objet d’une évaluation soignée. «Cette solution ne peut être envisagée que pour les malades qui possèdent un minimum de maîtrise sur soi et une certaine maturité affective», dit-elle. Et cela doit rester une prestation ambulatoire, effectuée en dehors de l’hôpital. «Il n’est pas question de mélanger les genres, insiste-t-elle. La prise en charge médicale et les relations intimes ne doivent pas se dérouler dans le même lieu.»



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Les personnes qui se font hospitaliser en psychiatrie sont dans une situation de grande détresse et vulnérabilité. Ils ne sont pas à même de prendre une décision réfléchie sur leur sexualité.

Si l’un de nos patients était agressif ou tendu, et que cela paraissait lié à une frustration sexuelle, il arrivait que nous fassions appel à une assistante sexuelle. Chaque cas devait cependant faire l’objet d’une évaluation soignée. Cette solution ne peut être envisagée que pour les malades qui possèdent un minimum de maîtrise sur soi et une certaine maturité affective. Et cela doit rester une prestation ambulatoire, effectuée en dehors de l’hôpital.

Giuliana Galli Carminati