Chronique
Texte: Texte : Yann Bernardinelli

Ces maladies qu’on croyait disparues

Une recrudescence de la tuberculose a été signalée en 2021. Les retards dans les vaccinations ordinaires alarment l’OMS. Car même quand elles semblent être sous contrôle, les maladies séculaires ne disparaissent jamais entièrement. Sans compter le réchauffement climatique qui pourrait provoquer le retour de virus préhistoriques.

Entendre une personne dire qu’elle est atteinte de tuberculose, de coqueluche, de lèpre, de typhus ou encore de syphilis paraît aujourd’hui, en Suisse, difficile à concevoir. Dans l’imaginaire collectif, ces maladies appartiennent à l’histoire, donc au passé. À tort, car non seulement elles sont encore actives, mais elle tuent encore et peuvent même déclencher une épidémie à tout moment. Depuis l’arrivée de la pandémie de Covid-19, un relâchement a été constaté au niveau de la lutte contre ces vieilles maladies, s’inquiète l’OMS, qui alerte sur des recrudescences possibles.

Accalmies trompeuses

L’OMS a manifesté en décembre dernier son inquiétude sur des lacunes importantes en matière de dépistage ou de suivi de vaccination concernant notamment la rougeole et la tuberculose. Une problématique à laquelle la Suisse n’échappe pas alors qu’on mesure paradoxalement une baisse historique du nombre de cas en 2020. Pierre-Alex Crisinel, médecin responsable de l’Unité d’infectiologie pédiatrique et vaccinologie du CHUV, indique qu’en 2020, les programmes de santé publique ont clairement été suspendus à cause de la crise sanitaire du Covid-19 et qu’ils n’ont à ce jour pas été rattrapés. « La diminution de 2020 s’explique par la baisse du dépistage, mais aussi par les gestes barrières contre le virus qui ont également agi contre d’autres maladies. » Le médecin craint une hausse des cas lorsque les gestes barrières seront moins systématiquement appliqués.

Concernant la rougeole, la couverture vaccinale était excellente avant la pandémie : près de 95% des enfants suisses étaient vaccinés. « Il faut absolument maintenir ce taux pour limiter la propagation, car la rougeole est extrêmement contagieuse, encore plus que le variant Omicron du Covid-19. » Le spécialiste précise que les campagnes de vaccination, effectuées chez les bébés entre 9 et 12 mois, sont très bien acceptées par les parents, avec une augmentation de la couverture vaccinale depuis les campagnes de sensibilisation faites entre 2013 et 2015. « Le problème est plutôt pour les générations d’avant. Il y a eu des vagues de non-vaccination et d’inconscience face à ce danger chez les parents. Certains jeunes adultes ne sont donc pas vaccinés aujourd’hui. Ils constituent une population à risque en cas d’épidémie de rougeole. » La maladie pourrait pourtant être éradiquée grâce à la vaccination. « L’opération demanderait un effort soutenu, vu sa haute contagiosité. Sans compter que chez certaines personnes, la rougeole n’est pas suffisamment crainte, ce qui peut être un frein. »

La tuberculose, quant à elle, tue encore près de 2 millions de personnes par an (1,5million en 2020). Ces statistiques la placent en deuxième position des causes de mortalité dues à une maladie infectieuse, derrière le Covid-19. La tuberculose est causée par une bactérie qui se multiplie toutes les vingt heures, soit à un rythme beaucoup plus faible que le covid et se transmet principalement au sein du cercle familial. « Le problème est que plusieurs pays à forte endémie ont interrompu la continuité de services essentiels à la lutte contre la tuberculose, pas seulement l’accès aux soins de malades tuberculeux, mais aussi le dépistage des membres de la famille qui ont vécu avec eux pendant les confinements », s’inquiète Jesica Mazza-Stalder, médecin au Service de pneumologie du CHUV. Le vaccin, le BCG, protège uniquement le nouveau-né contre les formes graves de la maladie. On ne peut donc pas compter sur lui pour éradiquer la tuberculose. « Le dépistage et les traitements sont donc capitaux, tout comme l’accès aux soins. La clé pour s’en débarrasser définitivement passe par une volonté politique et la mise en place de programmes de santé publique. »

Pathogènes en embuscade

Tant que le pathogène (virus, bactérie, parasite ou champignon) existe, cela rend possible la réémergence d’une maladie infectieuse, même si plus aucun humain n’est porteur. C’est le cas de la peste, par exemple. La bactérie Yersinia pestis, qui est responsable de la maladie, se trouve toujours sur quelques rats ou puces qui peuvent ensuite la transmettre aux humains. Entre 1990 et 2020, 50’000 cas ont été répertoriés par l’OMS, principalement en Afrique subsaharienne et en Amérique du Sud, parfois plusieurs décennies après sa disparition dans les pays concernés. « La peste n’est néanmoins pas un problème majeur, tant qu’une veille existe, puisque des traitements antibiotiques et des mesures de santé publique permettent de la repousser assez facilement. Contrôler ou éradiquer toutes les maladies transmises de l’animal à l’humain — les zoonoses, dont il existe plus de 200 sortes — tient de la gageure, voire de la mission impossible. On le voit avec la dengue ou la malaria transmises par les moustiques », indique Thierry Calandra, médecin chef du Service des maladies infectieuses du CHUV-UNIL.

En plus des virus, le spécialiste en maladies infectieuses s’inquiète aussi de l’évolution de certaines bactéries. « Elles s’adaptent et développent des résistances aux antibiotiques. C’est un défi majeur aujourd’hui. » Ainsi, les staphylocoques et les streptocoques n’ont jamais franchement disparu, mais sont classés aujourd’hui dans la catégorie des maladies « résurgentes ». Sont aussi concernées : la tuberculose, la fièvre typhoïde ou la syphilis. Mais aussi les infections nosocomiales, contractées durant un séjour à l’hôpital, causées par des bactéries résistantes aux antibiotiques, notamment Escherichia coli, Klebsiella, Pseudomonas, Acinetobacter.

Maladies et dérèglement climatique

La proximité des hommes et des pathogènes est également un facteur influençant la résurgence ou la non-disparition de certains virus. Le plus bel exemple est influenzae, le virus de la grippe. En plus des épidémies saisonnières, le virus peut évoluer brusquement et être responsable de pandémies comme en 1918, 1957, 1968 et 2009. Il y a aussi la grippe aviaire. « Les oiseaux migratoires peuvent transmettre le virus influenza à des volailles domestiques, des porcs ou des mammifères marins, qui peuvent à leur tour les transmettre aux humains, si les espèces cohabitent dans une trop grande proximité », illustre Thierry Calandra. Le choléra, causé par la bactérie Vibrio cholerae, a été responsable de sept pandémies depuis 1817. Endémique et épidémique, le choléra peut se propager rapidement en cas de conditions sanitaires précaires comme lors de conflits ou de catastrophes naturelles générant, par exemple, une grande population de personnes réfugiées entassées dans des camps insalubres.
C’est ce qui est aussi observé pour la dengue qui se propage dangereusement dans les mégapoles d’Amérique du Sud et d’Asie du Sud-Est en raison de mauvaises conditions sanitaires, mais aussi de la surpopulation dont souffrent ces villes. Pour lutter contre ce fléau, un vaccin
est disponible et d’autres sont en cours de développement.

Le danger des virus surgelés

De plus en plus de spécialistes cherchent à anticiper les conséquences du dérèglement climatique sur l’équilibre des écosystèmes qui pourraient potentiellement faire réémerger certaines maladies. La fonte du permafrost et des glaciers est la crainte la plus tangible, puisque des virus du passé, encore fonctionnels, pourraient réapparaître après décongélation. Plusieurs travaux de recherche en ont fait la démonstration, entre autres avec le virus de la variole présent dans des dépouilles de Vikings. Le vaccin reste l’un des meilleurs outils dont dispose l’être humain pour se débarrasser des maladies infectieuses. « Malheureusement, il n’en existe pas contre tous les pathogènes, mais le potentiel des technologies vaccinales révélé pendant la crise sanitaire du Covid-19 laisse entrevoir des espoirs », conclut Jesica Mazza-Stalder. /



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Eaux troubles

La perturbation du cycle de l’eau par ses voies d’écoulement, son équilibre chimique ou encore son mauvais assainissement peuvent causer la prolifération de larves propices au développement de pathogènes. La recrudescence de la dengue, du paludisme et de la bilharziose sont des exemples concrets.

Incubateurs naturels

L’accroissement de la température du globe permet à certains agents pathogènes de proliférer abondamment là où les conditions, trop froides, ne le permettaient pas ou restreignaient leur développement. La possibilité que des agents infectieux congelés pendant des millénaires pourraient ressurgir existe, bien que des études soient encore nécessaires pour évaluer les risques.

Hôte conditionné

L’humain, en tant qu’hôte d’agents pathogènes, est lui aussi perturbé par les problématiques climatiques :

la pollution affaiblit son système immunitaire. Le terrain est ainsi préparé pour de futures infections.

Une étroite corrélation

Le dérèglement climatique, l’urbanisation et la pollution créent des conditions propices à l’essor de nouveaux pathogènes, la réémergence

et l’extension d’anciens.

Dangereux rapprochement

Les émergences de la fièvre jaune, d’encéphalites virales, de la peste bubonique ou encore du typhus ont toutes un point commun : la diminution de la biodiversité qui détruit les habitats naturels des animaux et participe à leur rapprochement avec l’humain, propice au transfert de pathogènes.