Chronique
Texte: Alain Junger

Pour une cybersanté sensée

Mai 2019, Genève. Plongé dans l’obscurité d’une conférence du AI for good Global Summit*, je suis soudain frappé d’une interrogation: en tant qu’infirmier, puis-je choisir ou non de faire place à la cybersanté dans mon quotidien?

La question est légitime, tant l’intrusion de la technologie dans le quotidien des soignants peut sembler a priori opposée à une conception du rôle professionnel qui place l’humain et la relation au cœur du soin. C’est d’ailleurs l’une des raisons pour lesquelles l’Association suisse des infirmières et des infirmiers publiait en juin Les soins infirmiers et la cybersanté, une série de recommandations à l’attention de la communauté professionnelle.

D’autres craintes sont formulées. Le temps passé à documenter son activité diminue celui passé auprès des patients. L’ordinateur s’érige comme une barrière physique entre soignants et soignés. Les robots menaceront les postes de travail. Certes, mais ces exemples reflètent avant tout un usage inadéquat de la technologie, le plus souvent parce que l’intégration des outils technologiques dans les processus quotidiens n’est pas encore arrivée au niveau de maturité où leur plus-value supplante les problèmes occasionnés.

Rejeter la technologie reviendrait à renoncer aux contributions positives qu’elle peut apporter. Et pourquoi voudrait-on se priver de solutions qui permettent de prévenir efficacement le risque de chute, d’aider depuis l’hôpital un malade chronique resté à domicile, ou encore de mobiliser une personne handicapée de son lit jusqu’à sa baignoire?

Plutôt que de fuir l’inéluctable, les infirmier-e-s du monde entier ont maintenant l’opportunité d’influencer ces développements avec le professionnalisme qui les caractérise, de prendre conscience de l’importance de leur rôle. Je suggère trois pistes:

Formuler des attentes: dans une étude coréenne réalisée auprès de 300 infirmières, ces dernières ont par exemple indiqué que les robots doivent être consacrés à soutenir les activités pénibles physiquement et celles pour lesquelles l’intervention infirmière n’a pas de plus-value spécifique.

Défendre des valeurs: les débats éthiques liés à la technologie sont nombreux. Dans leur rôle de patient advocacy, les infirmiers constituent une voix essentielle pour garantir, entre autres, l’équité, la liberté et la dignité humaine.

Replacer le focus sur la finalité: les robots, les algorithmes et l’intelligence artificielle sont des assistants. Ils sont au service de la santé de la population et ne remplacent ni les relations humaines ni le jugement clinique des professionnels.

*Plateforme d’échange des Nations unies sur l’utilisation bénéfique de l’intelligence artificielle



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Alain Junger est infirmier et adjoint à la Direction des soins du CHUV