Chronique
Texte: Marcel Salathé
Photo: Roel Fleuren

"Ne laissons pas une situation de monopole se créer autour des données médicales"

Longtemps, les ordinateurs ont dominé certains domaines comme les mathématiques, mais lamentablement échoué dans d’autres où nous autres, êtres humains, excellons.

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Marcel Salathé est directeur du Digital Epidemiology Lab de l’EPFL

Longtemps, les ordinateurs ont dominé certains domaines comme les mathématiques, mais lamentablement échoué dans d’autres où nous autres, êtres humains, excellons. Il y a encore une dizaine d’années, il était presque impossible pour un ordinateur de comparer les images de différents animaux et de les classer dans des catégories (un chat avec les chats, un chien avec les chiens, etc.), ce dont est parfaitement capable un enfant de 2 ans. Cependant, la recherche en intelligence artificielle a fait d’énormes progrès ces dernières années, si bien que les ordinateurs peuvent aujourd’hui réaliser ce type d’opérations tout aussi bien, si ce n’est mieux, que nous. Pour couronner le tout, ils sont infiniment plus rapides.

Désormais, nous pouvons développer des logiciels capables d’«apprendre» à quoi ressemble un chat. Et bien sûr, cet apprentissage ne se limite pas aux images de félins. Il peut être élargi à toutes les situations possibles et imaginables. Dans le cadre d’une récente étude, un ordinateur a, par exemple, appris à identifier les types de cancer de la peau d’après une simple image – et en définitive, il s’est avéré plus efficace qu’un dermatologue de l’hôpital de Stanford. Etonnamment, il est très simple de créer un tel logiciel, notamment grâce au mouvement «open source».

Dans le monde entier, les grandes entreprises du numérique lancent désormais des logiciels libres reposant sur l’intelligence artificielle, accélérant encore les rapides progrès dans ce domaine.

L’intelligence artificielle se développe grâce aux données, et s’il est une ère qui fait la part belle aux mégadonnées, c’est bien la nôtre: individuellement et collectivement, nous recueillons des quantités de données impressionnantes sur toutes les dimensions de notre vie. De notre ADN jusqu’au nombre de pas que nous effectuons par jour, il ne coûte presque rien de collecter des données sur nous-mêmes. Et lorsque des centaines de millions de personnes s’y mettent, d’énormes quantités de données sont créées, lesquelles peuvent servir de base à l’apprentissage de l’intelligence artificielle. Mais qui les détient?

L’intelligence artificielle est bien établie. Votre moteur de recherche favori repose sur elle. La carte qui vous permet d’aller d’un point A à un point B le plus rapidement possible aussi. Les marchés opèrent selon des décisions prises par l’intelligence artificielle. Bientôt, elle sera le fondement de nombreux diagnostics médicaux. Quiconque contrôle les données contrôle également l’intelligence artificielle. Plutôt que de voir ce pouvoir concentré entre les mains d’une poignée d’acteurs commerciaux, j’espère que nous saurons créer un environnement dans lequel nous serons tous maîtres de ces nouvelles technologies – praticiens, chercheurs, entreprises et patients. Pour ce faire, les parties prenantes doivent s’unir afin de trouver des moyens d’ouvrir les données médicales à la communauté au sens large. Faute de quoi notre système médical risque à l’avenir d’être dirigé par une élite disposant d’un accès exclusif aux données. ⁄



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Pour en savoir plus

www.natureincode.com

​PROFIL

Marcel Salathé est professeur associé à l’EPFL, où il dirige le Digital Epidemiology Lab. Il est l’auteur de «Nature, in Code» et cofondateur de PlantVillage, une plateforme d’échange de connaissances sur les maladies végétales.