Chronique
Texte: Bertrand Tappy

Une molécule, une histoire: l'acide acétylsalicylique

Tout le monde connaît l’Aspirine. Pourtant, l’acide acétylsalicylique (son nom scientifique) a provoqué de nombreuses controverses.

C’est de l’écorce de saule que dérivent les anti-inflammatoires: dès l’Antiquité, on reconnaît en effet à cette plante la capacité de calmer la fièvre et la douleur. Au XIXe siècle, on parvient même en France et en Allemagne à purifier la substance responsable de cette action, l’acide salicylique.

S’il fait effectivement baisser la douleur, cet acide n’est pas bien toléré par l’estomac. En 1904, Hoffmann, un chimiste de l’entreprise Bayer, trouve le moyen de produire l’acide acétylsalicylique, nettement mieux supporté, et qui ne relâche l’acide salicylique qu’une fois passé dans la circulation sanguine. Une avancée qui mène à la commercialisation d’un médicament, baptisé Aspirine (contraction d’«acétylisation» et «acide spirique»).

Dès ses débuts, le médicament connaît un immense succès comme analgésique et anti-inflammatoire. Pourtant, une autre propriété du produit fait peu à peu surface: l’Aspirine occasionne des saignements, et des chirurgiens rapportent que les patients traités perdent plus de sang dans le champ opératoire. La communauté médicale entreprend alors d’exploiter cette action au bénéfice des patients souffrant de thromboses artérielles, comme celles qui affectent typiquement les artères coronaires. En 1975 paraît une des toutes premières études «randomisée en aveugle» qui démontre l’efficacité préventive de l’Aspirine après un infarctus du myocarde: au sortir d’une hospitalisation pour infarctus, les patients reçoivent un comprimé à prendre chaque jour, contenant 300 mg d’Aspirine pour la moitié d’entre eux et un placebo inerte pour l’autre. Les résultats confirment l’hypothèse: l’Aspirine, en bloquant l’activité des plaquettes sanguines, prévient la récidive d’infarctus. Dans les années 1970, un patient victime d’infarctus avait une chance sur 10 d’en refaire un et de mourir dans l’année. Sous Aspirine, ce risque diminue à une chance sur 13.

Au début, on donne au patient cardiaque le même dosage que pour l’usage analgésique. Mais au fil du temps, des médecins parviennent à convaincre leurs confrères que l’action anti-agrégante est obtenue avec des dosages moindres, divisant progressivement la quantité. C’est ainsi que plus de trente ans plus tard, on donne des doses ne dépassant pas 100 mg aux patients menacés d’infarctus ou d’attaque cérébrale. «Ce n’est pas un parcours étonnant, note Thierry Buclin, chef de la Division de pharmacologie clinique du CHUV. On trouve maints autres produits qui ont été administrés à des doses trop élevées au début de leur carrière. L’objectif des grosses doses est initialement de garantir le résultat envers et contre tout; on met plus longtemps à optimiser la sécurité d’emploi.» Il n’en reste pas moins paradoxal que dans les pharmacies, l’Aspirine à 500 mg soit en vente libre, alors que la posologie de 100 mg – réservée aux traitements cardiaques – n’est disponible que sur ordonnance. ⁄



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