Chronique
Texte: Bertrand Tappy

Une molécule, une histoire: l'oméprazole

Courte biographie de l’oméprazole, la molécule qui fut le golden boy de l’industrie pharmaceutique dans les années 1990.

Qu’elle soit favorisée par notre alimentation, notre mode de vie ou peut-être par notre patrimoine génétique, l’acidité gastrique semble au premier abord être un mal de notre époque. Le nombre depublicités vantant les mérites de médicaments et autres thérapies luttant contre les brûlures d’estomac montre également qu’il s’agit d’un marché fort juteux.

Pourtant, cela fait de nombreuses décennies que le problème est connu. A la différence près que l’on n’arrivait pas aussi bien à contrôler la production d’acide. «Dans les années 1960, on utilisait des antihistaminiques tels que la Cimétidine puis la Ranitidine pour réguler l’acidité, rappelle Thierry Buclin de la Division de pharmacologie clinique du CHUV. Ces médicaments n’offraient toutefois pas toujours l’efficacité désirée. Et si cela dégénérait en ulcère, la seule alternative de l’époque demeurait une intervention chirurgicale.»

La situation change radicalement dans les années 1990 avec l’arrivée de l’oméprazole. Cette fois, le médicament agit directement sur le mécanisme chargé de la production d’acide, connu sous le nom de «pompe à protons». Commercialisé par Astra (devenu depuis AstraZeneca) après de nombreuses années de développement, il devient rapidement le produit dégageant le plus de revenus de toute l’histoire de l’industrie pharmaceutique. «Son lancement fut retentissant, se souvient Thierry Buclin. Devant son efficacité indiscutable et son très faible risque d’effets secondaires, beaucoup de médecins en vinrent à le prescrire dès que le patient parlait de problèmes gastriques.»

On sait aujourd’hui que la chose n’est pas si simple: «Certes, le médicament continue d’améliorer le quotidien de milliers de malades qui en ont réellement besoin, continue Thierry Buclin. Mais on a récemment établi que l’oméprazole non seulement peut nuire aux os et aux voies respiratoires, mais peut aussi provoquer une forme de dépendance auprès des utilisateurs réguliers: tant qu’ils prennent le médicament, leur estomac s’efforce de produire de l’acidité, malgré le blocage. Et en arrêtant le produit, cette stimulation persiste et on se retrouve ainsi avec une acidité plus forte qu’au début! La personne devient convaincue qu’elle a besoin en permanence du médicament.» Une clientèle captive qui garantit évidemment un gain sur le long terme au producteur.

Mais au début des années 2000 est arrivé le terme du brevet, et avec lui la déferlante des génériques produits par la concurrence. Heureusement, il restait une parade pour Astra: l’esoméprazole, une version simplifiée de la molécule censée améliorer encore l’efficacité. «Mais on se demande encore quel est son véritable bénéfice, hormis d’avoir fourni à la firme un nouveau brevet…», conclut Thierry Buclin.



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