Tendances
Texte: Julie Zaugg
Photo: Tang Yau Hoong

Un code-barres au chevet du patient

L’accessoire permet déjà de réduire les erreurs médicales en améliorant le transfert des informations. Il annonce aussi l’avènement de l’«hôpital intelligent».

Nov 12, 2014

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Le Massachusetts Institute of Technology a mis au point un scanner pour éviter qu’un patient ne reçoive par erreur un médicament qui ne lui est pas destiné. La machine, dotée d’un réceptacle, est connectée avec le bracelet électronique du malade et se place sur sa table de nuit. Le personnel soignant y dépose les pilules. En quelques secondes, le scanner peut lire la forme, la couleur, la taille et les inscriptions des médicaments et déterminer s’ils coïncident bien avec le dossier du patient.

Fin novembre 2012, deux hommes passent un examen médical dans un hôpital de l’Isère, en France. L’un d’entre eux présente un anévrisme et doit être opéré d’urgence. Mais il est renvoyé chez lui et l’autre patient subit l’intervention, dont il n’a pas besoin. Heureusement sans conséquence importante pour les deux patients, cette confusion d’identité aurait pu avoir une conclusion tragique. C’est pour éviter ce genre de méprise que certains établissements se sont mis à équiper leurs patients de bracelets électroniques. Dotés d’un code-barres, ils permettent une identification sans faille du malade.

Par l’intermédiaire d’une puce, enfermée dans un porte-clés, les informations passent du poignet du patient au smartphone du soignant. Le téléphone est relié au système informatique de l’hôpital.

Mais les tentatives d’informatiser le système n’en sont qu’à leurs balbutiements. Les HUG, à Genève, ont démarré en 2006 un projet pilote pour tester le port du bracelet électronique dans certains services d’oncologie. «Le soignant scanne désormais systématiquement le code-barres qui se trouve sur le bracelet du patient pour vérifier qu’il correspond à celui imprimé sur la poche ou la seringue qu’il s’apprête à lui administrer, explique Pascal Bonnabry, pharmacien-chef aux HUG. Il évite ainsi de lui donner le mauvais médicament.»

Une étude expérimentale effectuée avec de faux patients a montré que l’usage du scanner permettait de repérer 100% des erreurs potentielles, contre 98% avec une simple check-list sur papier et 85% sans aucun de ces outils. Le projet devrait être étendu à l’ensemble de l’établissement genevois d’ici à 2014 ou 2015. «Le bracelet électronique pourrait servir à éviter non seulement les erreurs de médicament, mais aussi celles liées à l’administration
de poches sanguines ou à l’implantation de matériel, tel que les prothèses ou pacemakers», ajoute Pascal Bonnabry.

Mais que se passe-t-il si on attribue le mauvais bracelet à un patient? Un chercheur de l’Université de Dartmouth, Cory Cornelius, a résolu ce problème en développant un bracelet qui «reconnaît» la personne au bras duquel il est accroché. «Lorsqu’on applique un léger courant électrique au poignet, celui-ci réagit en fonction de la densité des tissus et des os, explique-t-il. C’est ce qu’on appelle la bio-impédance. «Cette résistance façonne une «empreinte», unique à chaque être humain, qui permet au bracelet de savoir à qui il a affaire.

Depuis le milieu des années 2000, la majorité des hôpitaux suisses accroche au poignet des patients une bandelette en papier avec leur nom.

Olivier Hugli, médecin-chef au Service des urgences du CHUV, voit plus loin encore: il imagine un hôpital où le bracelet électronique ne serait que le point de départ d’une vaste mise en réseau des données concernant le patient. «Il y a trois ou quatre ans, lorsque l’hôpital a décidé de remplacer les bips que les médecins portent traditionnellement par des téléphones portables, j’ai commencé à me demander comment mieux intégrer cet outil dans notre pratique quotidienne», relate-t-il. Il en est issu le projet Smart Access to Versatile Emergency Resources (SAVER), développé en collaboration avec la Haute Ecole d’ingénierie d’Yverdon.

Il prévoit d’équiper le patient de bracelets dotés de puces à radio-identification («RFID» pour Radio Frequency Identification). «Lorsque le soignant s’approchera du lit du patient, il verra les informations le concernant s’afficher

sur son smartphone», précise Olivier Hugli. Celles-ci feraient l’objet d’un «tri intelligent», en fonction de ses besoins et de son statut (médecin, infirmière, etc.). Il pourrait ensuite entrer dans le système des informations sur le malade, depuis son téléphone portable. «Nous avons développé des logiciels qui facilitent la saisie de ces données sur un smartphone. L’intensité de la douleur serait, par exemple, indiquée au moyen d’un curseur qui va de 1 à 10 et la tension artérielle pourrait être rapportée grâce à une roulette.» Lorsque le médecin ne se trouve pas au chevet du patient, il pourra recevoir des alertes à son sujet, toujours sur son téléphone.

Pour s’assurer que ces données ne tombent pas entre de mauvaises mains, l’appareil ne fonctionnerait que lorsqu’il se trouve à proximité d’une balise d’identification portée en permanence par le médecin et activée via Bluetooth. «Aucune information concernant le patient n’est stockée
sur le téléphone», ajoute le médecin-chef. SAVER prendrait tout son sens avec l’introduction du dossier électronique du patient, qui centralisera sous format électronique toutes les données le concernant. Celle-ci est prévue pour 2017 à l’échelon fédéral (lire encadré).

INTERVIEW

"Il faut fixer des règles claires."
Christian Raetz, préposé à la protection des données et à l’information du canton de Vaud, détaille les enjeux liés à la sécurité des informations médicales.

IV Les données médicales sont toujours davantage numérisées. Quels sont les risques liés à cette pratique?
CR La numérisation des dossiers patients présente des avantages indéniables, mais elle recèle effectivement des dangers. Le risque majeur découle de la volatilité des données informatiques qui sont aisément transportables, communicables ou modifiables. Des efforts importants doivent être faits pour éviter que les données ne soient manipulées ou consultées par des personnes non autorisées. Il faut aussi s’assurer que ces informations soient utilisées uniquement dans le but qui leur a été assigné: traiter au mieux les patients.

IV Quelles mesures doivent être prises pour garantir la sécurité des données?
CR La première mesure est d’assurer la sécurité physique des données, notamment par le cryptage, c’est-à-dire rendre la compréhension d’un document impossible à toute personne qui n’a pas la clé de déchiffrement. Un autre enjeu central est celui des droits d’accès. L’ensemble des collaborateurs d’un hôpital ne doit pas pouvoir accéder à toutes les données médicales de tous les patients.

IV Doit-on craindre des fuites?
CR Le personnel soignant est soumis au secret médical. Mais on ne peut jamais exclure des traitements illicites. Par ailleurs, il est important de faire la distinction entre deux types de dossiers. Il y a les dossiers informatiques établis par chaque prestataire de soins, en principe accessibles qu’au sein de l’hôpital ou du cabinet où le patient est suivi. D’autre part, il y a le dossier tel qu’il est prévu par le projet de loi fédérale qui regroupe des données accessibles potentiellement par l’ensemble des prestataires de soins. Dans les deux cas, il est primordial de fixer des règles claires sur ce qui peut être communiqué, et à qui.

Un outil de surveillance

Au CHUV, les données sur le malade sont saisies électroniquement depuis 2010 déjà, dans le cadre d’un projet baptisé Dophin (Dossier patient hospitalier institutionnel et informatisé). «D’ici à 2015, les soignants pourront aussi y introduire des instructions pour le traitement du patient, comme les commandes de médicaments ou d’examens radiologiques», précise Pierre-François Regamey, directeur des systèmes d’information du CHUV. Un projet pilote de consultation du dossier du patient via des tablettes électroniques sera implémenté d’ici à la fin de l’année.

A terme, Dophin pourrait être relié à SAVER – dont la date de mise en œuvre n’est pas encore fixée. «Les deux projets sont complémentaires, souligne Pierre-François Regamey. Le bracelet électronique génère une reconnaissance automatique du patient, créant un lien instantané et fiable avec son dossier sauvegardé sous forme informatique.»

Outre-Atlantique, certains hôpitaux vont encore plus loin dans l’exploitation des potentiels offerts par l’intelligence artificielle. El Camino, un établissement de 411 lits à deux pas de la Silicon Valley, est l’un des hôpitaux les plus connectés au monde. Les médecins peuvent en tout temps consulter le dossier électronique du patient et examiner ses résultats d’examen au moyen de terminaux disséminés partout dans l’établissement ou via leurs smartphones. Les patients sont reliés au système par l’entremise de leur bracelet électronique. Celui-ci comprend un identifiant biométrique (un ultrason
du réseau veineux de leur main pris lors de l’admission) et permet de suivre leurs déplacements dans l’hôpital en temps réel.

Ainsi, le bracelet électronique peut aussi se muer en outil de surveillance. «Pour peu qu’on l’équipe d’une puce RFID ou d’un GPS, on peut suivre les mouvements du patient d’un service à l’autre ou d’un soignant à l’autre, souligne Pascal Bonnabry. Cela peut se révéler utile dans un environnement psychiatrique ou pour éviter le vol de bébés.» Les nouveau-nés sont équipés de tels bracelets dans plusieurs hôpitaux du Texas, de Californie ou du Colorado. Une alarme se déclenche et les portes de l’hôpital se verrouillent automatiquement s’ils sont sortis de la maternité par une personne non autorisée.

«Le bracelet électronique représente aussi un outil intéressant pour les personnes atteintes d’Alzheimer ou d’une autre forme de démence, juge pour sa part Birgitta Martensson, la directrice de l’Association Alzheimer Suisse. Lors d’hospitalisations, elles sont souvent très désorientées et ne comprennent pas pourquoi elles sont là
et cherchent donc à s’en aller. Le bracelet permet alors de les retrouver. En EMS, il leur assure une autonomie bienvenue car elles peuvent circuler librement dans un périmètre sécurisé au lieu de se trouver devant des portes fermées à clé.» ⁄



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