Tendances
Texte: Catherine Cochard
Photo: Tang Yau Hoong

Les internautes, de généreux donateurs

Le financement participatif, ou crowdfunding, a déjà permis la publication d’ouvrages, de disques ou la réalisation de projets artistiques. C’est désormais le milieu de la santé qui y fait appel.

Aujourd’hui, il est difficile d’échapper aux sollicitations en matière de crowdfunding. Qu’il s’agisse de soutenir un film, un livre ou un album de musique, les incitations

à contribuer financièrement à la création d’un projet se multiplient. Un jeune Britannique a même lancé en juin dernier un appel à ce type de subventions pour aider le gouvernement grec, à hauteur de 1,5 milliard d’euros, à rembourser sa dette au Fonds monétaire international. Si dans ce dernier cas la démarche n’a pas abouti, plusieurs recherches scientifiques ont pu ainsi être menées à bien. Il existe même des plateformes dédiées à la santé comme Wellfundr et FutSci.

Les exemples de recherches médicales financées par ce biais ne manquent pas. On peut citer notamment David Hawkes, du Florey Institute of Neuroscience and Mental Health en Australie, qui est parvenu à récolter par le biais du site Pozible quelque 12’000 dollars australiens pour son projet de recherche sur l’usage de vecteurs viraux pour soigner les désordres neurologiques. Ou Michael Pollastri de la Northeastern University aux Etats-Unis qui a réuni 25’000 dollars pour son projet sur les maladies tropicales par le biais de la plateforme Experiment. En mai dernier, la société grenobloise Ecrins Therapeutics a levé 555’000 francs sur Crowd Avenue pour développer un nouveau médicament contre le cancer. Parmi les réussites en la matière, évoquons aussi Embrace, le bracelet connecté qui permet de prévenir les proches en cas de crises d’épilepsie mis au point par la start-up italienne Empatica.

«L’avenir de la recherche médicale passe par la levée de fonds privés.»

L’idée de lever des fonds par le biais d’Internet en percevant de petites sommes auprès d’un nombre élevé de personnes remonte à la fin des années 1990 lorsque les premiers sites de crowdfunding ont vu le jour. Le modèle de ces plateformes demeure le même: l’initiateur fixe au préalable la somme dont il a besoin. Il ne touchera l’argent que s’il parvient à en récolter la totalité.

Ces dernières années, le financement participatif n’a cessé de se développer. Une étude menée par la Judge Business School de l’Université de Cambridge a démontré que près de 3 milliards d’euros ont été recueillis par les plateformes de crowdfunding européennes en 2014, tous domaines confondus. Cela correspond à une hausse de 144% sur un an (1,21 milliard en 2013). En 2015, le financement participatif européen pourrait dépasser les 7 milliards d’euros, toujours selon ces experts. Le succès de
la finance participative serait tel que ces cinq prochaines années, selon une étude publiée en avril dernier par Goldman Sachs, les grandes banques américaines pourraient perdre 11 milliards de dollars de profits annuels en raison des sommes placées sur des plateformes comme Kickstarter ou Indiegogo plutôt que chez elles.

Si les chercheurs s’en remettent à ce genre de financement c’est parce qu’il est toujours plus difficile de trouver des fonds pour financer la recherche scientifique. «L’avenir de la recherche médicale passe par la levée de fonds privés», explique Philippe Ryvlin, le chef du Département de neurosciences cliniques au CHUV. Le professeur en sait quelque chose: pendant des années, il a travaillé à lever plusieurs millions de francs auprès de grands et petits donateurs privés pour que l’Institut des épilepsies voie le jour, à Lyon. Ce qui sera chose faite d’ici à la fin de l’année.

Cette recherche intense l’a convaincu que le milieu de la recherche devait adapter sa manière de penser le financement. «En s’adressant à un public large, le crowdfunding est cohérent avec l’évolution de la société. Il est ainsi possible d’établir un meilleur équilibre entre les attentes des usagers en matière de recherche médicale et les sommes qu’ils sont prêts à engager pour ça.»

Philippe Ryvlin admet qu’il y a encore peu de temps les chercheurs en médecine ne se souciaient pas nécessairement de ce que le public pensait de leur recherche. «Aujourd’hui, on se doit d’être plus proche du grand public et de ses attentes vis-à-vis d’un domaine qui souvent le passionne! On doit, d’une part, rendre des comptes auprès du contribuable dont les impôts financent en partie la recherche, mais aussi engager la société en général dans notre réflexion et notre démarche.» Il s’agit non seulement d’obtenir des fonds mais surtout de convaincre le public de l’importance de la recherche à mener.

Outre-Atlantique, certains contradicteurs craignent que le crowdfunding appliqué à la recherche scientifique ne fonctionne que pour les projets les plus «sexy», ce que les Américains appellent «panda-bear science» (la science de panda), le mammifère blanc et noir ayant un capital sympathie très élevé. «Tout changement s’associe à de potentiels effets pervers, reprend Philippe Ryvlin. C’est un risque à courir, nous n’avons pas le choix! De plus, en Suisse, un pays adepte de votations, il serait paradoxal de douter du grand public pour ce qui concerne le financement de la recherche scientifique. Le financement participatif est une forme d’exercice démocratique.» ⁄

La législation en la matière

En Suisse, les contraintes légales liées à ces levées de fonds relèvent de la législation existante sur les marchés financiers. Elles s’imposent aux sociétés bénéficiaires, soit aux exploitants des plateformes de crowdfunding. «La Suisse connaît la règle dite de «10/20», selon laquelle toute société suisse qui bénéficie de crédits accordés par plus de 20 établissements autres que des banques est considérée comme une banque par le droit de l’impôt anticipé», explique Damien Conus, avocat et enseignant à la Haute école de gestion à Genève.

Autre cas de figure: l’obligation pour l’exploitant d’une plateforme de financement participatif de remplir les devoirs de diligence d’un intermédiaire financier liés à la législation sur le blanchiment d’argent – vérifier l’origine de l’argent notamment – ou d’obtenir une autorisation d’exercer, liée à la législation sur les banques, selon le contrôle qu’il exerce sur les fonds circulants.



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Financer un traitement

Il n’y a pas que la recherche qui fasse appel au financement participatif. Dans les pays où les traitements médicaux ne sont pas couverts par les assurances sociales, certains malades font appel à la solidarité des internautes pour pouvoir payer leurs soins médicaux. GoFundMe fait partie des plateformes plébiscitées pour tenter de lever les fonds nécessaires. Sur la partie du site intitulée «Success stories», le visiteur peut voir un aperçu des financements participatifs les plus probants. On découvre ainsi le visage d’Aex Haas, brûlé au troisième degré, qui, grâce à la campagne menée par sa famille et ses proches, a pu recevoir les soins adéquats. Ou celui de la jeune Kiersten Yow, mordue par un requin à la jambe et au bras gauche, qui a pu – grâce au financement participatif – être soignée. Elle poursuit aujourd’hui la rééducation qui devrait lui permettre de retrouver l’usage de son membre inférieur.