Tendances
Texte: Béatrice Schaad

La mort, une réflexion à vivre

Gian Domenico Borasio publie «Mourir», un livre clair et étonnamment anxiolytique. Avec cette proposition tentante: bien penser à sa mort, c’est peut-être mieux songer à sa vie.

En savoir plus:

«Mourir, Ce que l’on sait, ce que l’on peut faire, comment s’y préparer.» Presses polytechniques et universitaires romandes, Le Savoir Suisse.

Le livre est disponible en librairie ou chez l’éditeur: ppur.org

En matière de fin de vie, il y aurait donc trois règles: parler, parler et parler. Evoquer la mort avec ses proches et avant tout avec soi-même, c’est l’invitation iconoclaste que formule Gian Domenico Borasio, professeur titulaire de la chaire de médecine palliative de l’UNIL et chef du service de soins palliatifs du CHUV, avec son livre Mourir qui sort en français après avoir occupé la tête des ventes en librairie en Allemagne où près de 150’000 personnes auront cédé à cette tentation apparemment paradoxale de penser à la mort de leur vivant. Une activité qui, il faut bien le reconnaître, peut faire l’objet d’une certaine procrastination et de multiples tentatives d’esquive. Ainsi, comme l’écrit Gian Domenico Borasio, «si nos connaissances sur le commencement de la vie sont multiples et précises, la mort, elle, reste un domaine encore largement inexploré (…). Si l’on sélectionne la rubrique «mort» dans l’index d’un manuel de physiologie, on trouve des informations, mais seulement sur la mort de cellules individuelles, celle de parties de tissus ou éventuellement celles d’organes.»

L’auteur construit son ouvrage sur des questions qui n’ont de simple que l’apparence: pourquoi mourrons-nous? demande-t-il ainsi en passant en revue les différentes étapes caractéristiques de la mort pulmonaire ou de celle liée au cerveau; où mourrons-nous? En EMS, à l’hôpital, à la maison? Mais surtout de quoi avons-nous besoin au moment de mourir? Il évoque premièrement ce «lubrifiant» qu’est la communication entre le médecin et son patient «indispensable à tout accompagnement réussi» d’une fin de vie. Sur un mode enlevé, Gian Domenico Borasio n’hésite pas à préciser que «les médecins prouvent malheureusement assez souvent» qu’il est plus facile de mal communiquer que de dépasser les peurs et les difficultés d’aborder le sujet. Il milite pour un enseignement différent de la médecine, moins strictement orienté sur ses développements technologiques mais aussi sur des dimensions plus sensibles, comme les émotions suscitées par l’accompagnement de patients en fin de vie. Il étudie la communication au sens large, en famille ou entre spécialistes, n’épargnant pas sa propre profession toujours sur un mode élégant mais direct, assaisonné d’une pointe d’humour: un lubrifiant, un de plus. «Vous avez travaillé en équipe? Montrez-moi vos cicatrices», cite-t-il en évoquant les collaborations parfois houleuses entre les différents professionnels qui se retrouvent au chevet d’un mourant.

On remet la vie à plus tard. Pendant ce temps, elle s’enfuit.

Gian Domenico Borasio décrit nombre d’autres besoins du patient et de ses proches face à la finitude. Dans son style qui traduit une intelligence et une force de conviction hors du commun, il amène ainsi des éléments percutants voire provocants dans le débat, notamment dans les chapitres consacrés aux «pièges à éviter». Le premier d’entre eux étant de croire que l’on soigne en prodiguant force traitements jusqu’au dernier souffle: «Pourtant les faits sont têtus. Les bénéfices et les effets indésirables d’une alimentation et d’une hydratation artificielles pour les patients en fin de vie sont documentés par des études scientifiques.» Construit sur une alternance d’analyses et de témoignages de patients et de proches, il étaye ses démonstrations par des récits souvent sensibles.

Dans l’idéal, elle (la médecine palliative, ndlr) pourrait durablement rendre la médecine moderne plus proche du patient, pluridisciplinaire et davantage portée au dialogue ainsi qu’à la réflexion sur ses limites. Cela n’ira pas sans difficultés. Il existe des résistances considérables au sein du système médical.

Interroger sa pratique, la frontière subtile entre conviction de soigner et risque de s’acharner, autant d’axes qui dessinent au fil des pages le domaine dans lequel Gian Domenico Borasio se distingue depuis des années sur le plan international. Or, regrette-t-il: «De nombreuses personnes ne savent tout simplement pas ce que recouvre la médecine palliative». Citant une enquête de l’Office fédéral de la santé publique (OFSP), il écrit qu’à peine un tiers des Alémaniques peuvent en donner la définition. Les Romands sont les mieux informés (78%). Gian Domenico Borasio n’étant sans doute pas étranger à ce score élevé, lui qui occupe depuis 2011 la première chaire de soins palliatifs de Suisse romande et la promeut dans différentes instances fédérales.

Son credo? «Dans l’idéal, elle (la médecine palliative, ndlr) pourrait durablement rendre la médecine moderne plus proche du patient, pluridisciplinaire et davantage portée au dialogue ainsi qu’à la réflexion sur ses limites. Cela n’ira pas sans difficultés. Il existe des résistances considérables au sein du système médical.»

Ces résistances, Gian Domenico Borasio en a déjà surmontées de nombreuses. A commencer par la séduction qu’il opère sur le lecteur, même le plus rétif à réfléchir à sa propre mort. Son livre s’intitule Mourir, il pourrait tout aussi bien être titré «Vivre». Car à se pencher de façon très pragmatique sur les différentes étapes qui précèdent la mort, il invite à une forme d’introspection profonde sur le sens de sa propre vie. Si ses lignes nous apprennent à mourir, elles nous apprennent donc tout autant à vivre, ici et maintenant, faisant écho aux écrits de Sénèque, comme un utile avertissement: «On remet la vie à plus tard. Pendant ce temps, elle s’enfuit.»



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Gian Domenico Borasio n’hésite pas à préciser que «les médecins prouvent malheureusement assez souvent» qu’il est plus facile de mal communiquer que de dépasser les peurs et les difficultés d’aborder le sujet. Il milite pour un enseignement différent de la médecine, moins strictement orienté sur ses développements technologiques mais aussi sur des dimensions plus sensibles, comme les émotions suscitées par l’accompagnement de patients en fin de vie.