Prospection
Texte: Blandine Guignier
Photo: Florida Photographic Collection

Les soins «mobiles»: partager pour économiser?

Le partage de personnel et de matériel entre lieux de soins se développe en Suisse romande, souvent motivé par des intérêts financiers. Avantages et limites de cette pratique.

Avec ses 52 tonnes, du fait de son lourd blindage de radioprotection, le camion d’imagerie médicale des Hôpitaux universitaires de Genève (HUG) bat des records. Tout comme son prix: il a fallu débourser 960’000 francs pour la remorque équipée et encore 2 millions pour le scanner dernier cri. Mais cette unité mobile bénéficiera à d’autres régions de Suisse romande, en se déplaçant à l’hôpital de La Chaux-de-Fonds et au Centre d’imagerie du Nord vaudois, et devrait ainsi être rentabilisé en quelques années seulement.

Grâce à ce poids lourd de 13,5 mètres de long, les HUG sont passés à la vitesse supérieure. «La première unité mobile, qui a fonctionné durant neuf ans, était saturée, indique Jean-Pierre Willi, médecin-chef du Service de médecine nucléaire et imagerie moléculaire. Aujourd’hui, nous avons doublé la capacité d’accueil et nous pouvons recevoir deux patients simultanément.»

Le scanner est trois fois plus performant que l’ancien, grâce à une plus grande précision des images produites. «Cela aidera les médecins à évaluer avec finesse l’efficacité des traitements de nombreuses tumeurs.»

Lors de l’inauguration du nouveau camion en juin, les HUG n’ont pas hésité à qualifier leur unité de «success story». D’autres systèmes de partage de personnel et de matériel entre lieux de soins semblent eux aussi bien fonctionner en Suisse romande. Pourquoi ce succès? Est-il applicable partout?

Le camion dernier cri des Hôpitaux universitaires de Genève est équipé d’un scanner PET-CT, une méthode d’imagerie médicale qui permet de mesurer en trois dimensions l’activité d’un organe. / Photo: HUG

Intérêt financier

L’attrait pour ce type d’unité mobile tient d’abord au fait que certaines technologies sont difficiles à acquérir seul. Reto Meuli a suivi avec intérêt le développement du camion scanner des HUG. «Dans ce cas précis, Genève a aidé l’hôpital de La Chaux-de-Fonds, explique le chef du Département de radiologie médicale du CHUV. Le projet d’installation d’un nouveau scanner PET-CT était au point mort dans le canton de Neuchâtel, à la suite de la votation de division des deux hôpitaux neuchâtelois. Or, il y avait un réel besoin dans la région pour ce type d’examens, de même que de radiologues compétents sur place.»

L’intérêt financier et la volonté de proposer une offre plus large aux usagers d’un lieu de soin expliquent également la mise en place d’équipes et de machines itinérantes. Le camion des HUG est ainsi stationné une ou deux fois par semaine au Centre d’imagerie du Nord vaudois, un cabinet privé.

L’entreprise fribourgeoise Mobile Anesthesia Care, installée à Marsens, constitue un autre exemple. Son équipe mobile se rend depuis 2012 dans divers lieux de soins pour pratiquer des anesthésies ambulatoires. Autrement dit, le personnel détaché par la société prépare le patient, l’endort et surveille son état de santé au réveil. Le tout en emmenant le matériel nécessaire à l’intervention. «La moyenne est de 6’000 actes anesthésiques par année, ce qui constitue un niveau équivalent à celui de nombreux hôpitaux périphériques, et ce chiffre ne cesse d’augmenter», explique l’un des deux médecins fondateurs, Nicolas Vasey. Quinze employés travaillent de manière fixe pour Mobile Anesthesia Care, une vingtaine d’autres de façon plus ponctuelle.

Parmi les clients de l’entreprise figurent des cliniques et cabinets médicaux privés. Ces derniers souhaitent généralement pratiquer entre leurs murs des chirurgies peu invasives sous anesthésie générale. Il s’agira par exemple d’un dentiste voulant arracher quatre dents de sagesse depuis son cabinet, sans se rendre au bloc opératoire, ou d’un gynécologue devant procéder à un curetage à la suite d’une fausse couche. «Tout le monde est gagnant, souligne Nicolas Vasey. Le spécialiste peut effectuer des actes qu’il pratiquerait quasiment à perte s’il devait se déplacer dans le bloc opératoire d’un hôpital, et du côté du patient, la proximité et le confort du cabinet sont des points jugés positifs, par rapport à l’hôpital.» Mobile Anesthesia Care propose aussi ses services à des hôpitaux publics, mais de manière plus marginale, souvent pour mandater des anesthésistes remplaçants.

Des évolutions technologiques ont rendu possibles et attractifs ces soins itinérants. «Les machines utilisées lors d’une anesthésie se sont miniaturisées, tout en fonctionnant sur des batteries aux durées nettement plus longues, explique le cofondateur de Mobile Anesthesia Care. Les délais d’évacuation des produits pharmacologiques sont aussi beaucoup plus rapides, ce qui permet de réduire la phase de réveil.»

Soigner des patients immobiles

Pour Nicolas Senn, directeur de l’Institut universitaire de médecine de famille à Lausanne, il y a deux stratégies qui cohabitent sur cette question des soins mobiles.

«Il y a une logique de marché, d'augmentation de la demande par l'offre. Et une autre, adoptée par les autorités sanitaires, qui s'intéresse aux besoins sanitaires globaux.»

Dans cette dernière perspective, la mise en place de soins mobiles s’avère pertinente pour se rendre auprès des patients qui, dans le cas contraire, ne se déplaceraient pas d’eux-mêmes et ne seraient pas correctement traités.

C’est le cas, par exemple, pour l’itinérance d’équipes spécialisées vaudoises dans le domaine des soins palliatifs et de la psychiatrie. «Pour ce qui est de ma branche, la médecine de premier recours, il existe également une unité mobile vaudoise se rendant dans les centres de requérants d’asile. Des infirmiers et infirmières y assurent des consultations et apportent des soins de base.»

Parfait aux États-Unis, moins en Suisse

La généralisation des soins mobiles en Suisse, Reto Meuli n’y croit pas. «Le partage d’équipements lourds dans des camions énormes, cela a du sens au Midwest, aux États-Unis. Ils font des centaines de kilomètres durant la nuit et se trouvent chaque jour dans une nouvelle ville. C’est intéressant du point de vue économique et pour la santé du patient. En Suisse par contre, cela restera à mon avis anecdotique.» La raison avancée par le médecin du CHUV: un territoire et des besoins trop petits. «Quand le nouvel Hôpital Riviera-Chablais et sa machine PET-CT verront le jour, je pense que l’offre des médecins privés dans ce domaine tendra à disparaître, car les patients seront prêts à faire quelques kilomètres de plus pour avoir les équipements modernes.»

Nicolas Vasey reconnaît lui aussi des limites à l’anesthésie mobile. «Des cas lourds polypathologiques ne peuvent être traités qu’à l’hôpital. Et nous sommes dépendants des tarifications et des décisions politiques. Nous n’existerons plus si les actes réalisés sous anesthésie par nos clients – cabinets et cliniques privés – ne leur rapportent plus rien.»

Les frontières cantonales pourraient constituer un autre obstacle. «Les questions de remboursement des soins ou de droit de pratique sont encore réglées dans le cadre des cantons, rappelle ainsi Nicolas Senn. Même s’il y a des systèmes de péréquation, il n’est pas évident de développer ce type de partage sur plusieurs cantons. Ces initiatives sont soumises au respect de la gouvernance locale.» /



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