Interview
Texte: Rachel Antille
Photo: Eric Déroze

Hubert Wykretowicz et les philosophes à l’hôpital

Face à la maladie mentale et à la prise en charge des grands brûlés, quels outils la philosophie a-t-elle à offrir? Interview de Hubert Wykretowicz, qui travaille au sein du Service de psychiatrie de liaison du CHUV.

Rattaché au Service de psychiatrie de liaison depuis un peu plus d’année, vous défendez une approche différente de la maladie, plus positive, en quelque sorte.

Il me semble en effet que l’on a une image erronée de la santé en général et de la guérison en particulier. On considère cette dernière comme un retour à un état antérieur, normal, donc meilleur. Mais ce retour à ce que le philosophe et médecin français Georges Canguilhem a appelé l’innocence biologique n’existe pas.Quelle que soit la maladie dont je souffre, je m’arme, en la traversant, de nouvelles résistances dont je ne disposais pas avant. Guéri, je suis dans un état nouveau. Il s’agit de voir dans la maladie ce dont l’homme est encore capable et pas seulement ce qu’il ne peut plus. La maladie n’est pas que perte ou chute, mais aussi construction d’un nouvel équilibre, compensation. On devrait pouvoir voir aussi dans une grippe, un trouble neurologique ou un écroulement psychique toutes les stratégies constructives élaborées par l’organisme et l’homme pour se prévenir du désordre total ; toutes les ressources convoquées pour continuer à rester adapté au milieu. Ce n’est pas moi qui le dit, ce fut en son temps souligné par des neurologues tels que Goldstein ou plus récemment Sacks.


Mais quel est peut être l'impact de ce type d’approche pour le thérapeute ou le patient ?

A la différence des approches biologiques et psychanalytiques, l’école philosophique dans laquelle je me reconnais, la phénoménologie, considère la maladie mentale comme une manière d’être au monde. Si on prend l’exemple de la dépression, le phénoménologue estime qu’elle est d’abord une certaine manière d’exister (avec soi, avec les autres, etc.) qu’il faut comprendre dans sa spécificité, dans sa vérité oserais-je dire, avant de se rabattre sur ses causes génétiques, neurobiologiques ou pulsionnelles. Grâce à des explications de ce genre, qui font appel aux structures de l’existence humaine, les phénoménologues ont permis une compréhension très fine d’affections comme la schizophrénie ou la dépression. Or, comment peut-on poser un bon diagnostic ou évaluer les traitements possibles ou encore en rechercher les soubassements biologiques si l’on n’a pas compris ce dont il était question dans la maladie?

"La maladie n’est pas qu’une déficience"

Y a-t-il eu des influences concrètes au niveau de la prise en charge ?

On peut repérer les influences de cette manière de penser dans certains courants psychothérapeutiques. L’accent mis sur la nécessité du changement dans l’école systémique me paraît être un bon exemple : le thérapeute cherche ici à générer, via différentes stratégies, un changement dans le rapport au monde de son patient, afin de libérer de nouvelles possibilités d’existence là où le patient ne voit plus qu’un mur.
De façon plus générale, la phénoménologie insiste sur le fait que l’individu doit être considéré dans sa totalité. Et ceci non pas seulement pour des raisons morales, qui devraient être à elles seules suffisantes, mais aussi pour des raisons scientifiques. Je crois en effet que « les maladies », et à plus forte raison la maladie mentale, sont des élaborations théoriques abstraites et nécessaires, mais à condition de se rappeler qu’elles sont secondaires par rapport aux individus malades, aux histoires de vie, qu’elles permettent de comprendre et d’expliquer. Il faut arrêter de se représenter l’individu malade comme un cas particulier d’une pathologie générale, car c’est l’inverse qui est vraie. L’art médical ne consiste pas à ranger le patient sous des catégories telles que La Dépression (on dit en philosophie « subsumer », ce qu’en gros un ordinateur est tout à fait capable de faire) ; au contraire, ce qui me paraît faire la grandeur de cet art, c’est sa capacité à se servir de catégories générales pour mieux comprendre le vécu particulier d’un patient. A ce propos, la philosophie que je revendique a toujours rappelé que ce qui semble le plus évident, c’est au fond ce qu’il y a de plus difficile à voir.



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Bio

Hubert Wykretowicz a été engagé par le Prof. Friedrich Stiefel et collabore avec le Service de psychiatrie de liaison du CHUV. Enseignant et philosophe, il a participé en tant que conférencier à plusieurs colloques et propose une approche phénoménologique du patient et de son rapport au monde, pour une perception nouvelle de la maladie.