Décryptage
Texte: Julie Zaugg

Ces vaccins qui font peur

Des parents, rejoints par une partie du corps médical, s’inquiètent des effets des substances inoculées à leurs enfants pour les immuniser contre la maladie. Les spécialistes rassurent.

Cela commence par une question innocente, postée sur le forum de discussion en ligne Doctissimo: «Bonjour, je viens chercher des infos concernant la vaccination des bébés. Je suis maman d’une petite fille de 4 mois que je n’ai pas encore fait vacciner car j’ai lu beaucoup d’articles et de livres sur les méfaits des vaccins (cancers à long terme, problèmes neurologiques, etc.).» Mais l’auteure, une certaine Lunaya78, passe rapidement à l’attaque, dénonçant le pouvoir des charmas, la «langue de bois» des médecins et les graves effets secondaires subis par les enfants vaccinés.

Elle est aussitôt rejointe par un autre internaute, qui poste un lien vers une marche de soutien en faveur de Stacy, un bébé belge décédé d’une méningite à méningocoque dix jours après avoir reçu un vaccin. Un peu plus loin sur la Toile, l’activiste Alvin Jackson se déchaîne sur YouTube, comparant l’obligation de vacciner ses enfants à un génocide.

«L’immense majorité des parents est en faveur de la vaccination, mais une petite minorité, très active dans les médias et en ligne, s’y oppose», relève Pierre-Alex Crisinel, médecin à l’Unité d’infectiologie pédiatrique et de vaccinologie du CHUV. Le principal argument des réfractaires a trait à la dangerosité des vaccins, auxquels sont attribuées une série de maladies allant de l’autisme à la sclérose en plaques en passant par les allergies, le diabète ou l’épilepsie.

Certains parents, notamment aux Etats-Unis et en Grande-Bretagne, estiment également que laisser les enfants développer des maladies infantiles leur permet de renforcer leur système immunitaire. «Il y a eu un profond changement au niveau de la perception des risques, souligne Claire-Anne Siegrist, directrice du Centre de vaccinologie des Hôpitaux universitaires de Genève (HUG) et médecin-adjoint en Pédiatrie générale. On n’a plus peur des maladies que les vaccins font disparaître, donc on se demande s’ils sont utiles.»

Certains s’opposent aux vaccins pour des raisons religieuses. D’autres encore invoquent le droit de choisir librement les médicaments donnés à leurs enfants, dénonçant l’obligation de vacciner qui prévaut en France ou aux Etats-Unis. «En Suisse, la loi est moins stricte, explique Pierre-Alex Crisinel. Seuls les cantons de Genève et de Neuchâtel obligent à vacciner contre la diphtérie. Et la nouvelle loi sur les épidémies fera tomber cette contrainte en 2016.»

La méfiance face aux vaccins n’est pas propre aux parents. Pierre Verger, épidémiologiste à l’Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm) en France, s’est penché sur l’attitude de 1712 généralistes français vis-à-vis des vaccins. «Entre 15 et 40% ne recommandent jamais ou que rarement certains vaccins», rapporte le chercheur. Un quart d’entre eux pense même que l’on vaccine trop les enfants. «Ils se montrent les plus méfiants face aux produits qui ont fait l’objet de controverses publiques, comme ceux contre l’hépatite B ou le papillomavirus.»

Chez certains praticiens, notamment les plus âgés, Pierre Verger a aussi constaté «une forme de défiance» face aux recommandations des autorités. C’est par exemple le cas pour le vaccin contre les méningocoques C, perçu comme superflu en raison de la rareté de la maladie. Les homéopathes, chiropraticiens et naturopathes sont encore plus frileux voire hostiles à une pratique qui contre- dit leur propre doctrine: soigner avec des plantes ou par le biais du dos.

CRAINTES INFONDÉES

Ce mouvement de rejet est largement sans fondement, à en croire Claire-Anne Siegrist, des HUG: «Les vaccins qui ont des effets secondaires trop importants n’arrivent jamais sur le marché et ceux qui y parviennent malgré tout ne sont recommandés que si les conséquences indésirables graves sont extrêmement rares.» De l’ordre de un sur 100’000 à un sur un million. Des dizaines d’études ont par ailleurs contredit les craintes des anti-vaccins.

Les vaccins qui ont des effets secondaires trop importants n’arrivent jamais sur le marché.

«Comme les vaccins sont administrés à large échelle, on a tendance à les accuser d’avoir provoqué toutes les maladies que cette vaste cohorte de patients aurait de toute façon développées», analyse Bernard Vaudaux, ancien responsable de l’Unité d’infectiologie pédiatrique et de vaccinologie du CHUV.

Centre for infections/public health england/science photo library

Les fréquents changements dans le régime de vaccins recommandés génèrent aussi de la confusion. «Certains ont été abandonnés car les maladies qu’ils préviennent ont disparu dans la population autochtone suisse, indique Bernard Vaudaux. C’est le cas de la variole et de la tuberculose.» D’autres ont été remplacés par une nouvelle version plus efficace, comme celui contre les pneumocoques. Et d’autres encore sont moins souvent administrés, comme ceux contre le tétanos et la diphtérie, dont les rappels ont été espacés chez les 25-45 ans, leur durée de protection étant plus longue que prévu.

La méfiance générée par les vaccins n’est pas anodine. Elle peut avoir des conséquences mortelles pour les personnes dont le système immunitaire est trop faible – notamment les nourrissons qui ne peuvent pas être vaccinés avant un an, les personnes âgées et les individus atteints par le VIH mal protégés par les anticorps – et qui bénéficient en principe de «l’effet de troupeau», soit le mur invisible créé entre elles et la maladie par le fait de se trouver au sein d’une population vaccinée.

Plusieurs pays européens, dont le Royaume-Uni, l’Irlande et les Pays-Bas, ont subi des épidémies de rougeole au début des années 2000 après avoir vu leur taux de vaccination chuter dans le sillage de la polémique sur le vaccin ROR (voir notule p. 41). Les Etats-Unis, pour leur part, ont enregistré près de 1’000 cas de rougeole entre 2013 et 2015. Plus grave, le Nigeria et le Pakistan ont récemment été confrontés à une résurgence de la polio, une affection presque éradiquée, en raison de la méfiance des autorités religieuses face au vaccin contre cette maladie. On l’accuse, à tort, de contenir du porc, dont la consommation est interdite dans l’islam, ou encore de rendre infertile et d’être l’instrument d’un complot occidental pour stériliser les femmes musulmanes. ⁄



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Les vaccins les plus contreversés

Hépatite B

A la fin des années 1990, une association de «victimes du vaccin contre l’hépatite B» a créé la polémique en France en affirmant qu’il avait provoqué chez elles la sclérose en plaques. Le ministre de la Santé de l’époque, Bernard Kouchner, a suspendu le vaccin. Dans les années 2000, l’Etat français et le laboratoire britannique GlaxoSmithKline ont dû verser des indemnités à certains patients. Plusieurs études ont depuis disculpé le vaccin.

Papilloma- virus

Mis sur le marché en 2006, le vaccin contre le papillomavirus, un virus qui peut provoquer un cancer du col de l’utérus, est désormais administré à la plupart des adolescentes. Un collectif de plaignantes l’accuse d’avoir provoqué diverses maladies chez elles (sclérose en plaques, maladie de Verneuil, Lupus). «Certains pensent aussi qu’il ne sert à rien de vacciner contre un cancer que les dépistages permettent déjà de repérer bien en amont», relève Pierre-Alex Crisinel, médecin à l’Unité d’infectiologie pédiatrique et de vaccinologie du CHUV.

Le débat reste ouvert.

​Rougeole, Oreillons et Rubéole (ROR)

Une controverse a éclaté au Royaume-Uni en 1998, suite à la publication d’un article du médecin Andrew Wakefield dans la revue scientifique médicale «The Lancet» faisant le lien entre le vaccin ROR et l’autisme. Il est par la suite apparu qu’Andrew Wakefield avait reçu des fonds de la part de personnes en litige avec le laboratoire produisant le vaccin. En 2010, «The Lancet» a retiré l’article.

Les cocktails de vaccins

Les nourrissons reçoivent souvent un vaccin combiné qui les immunise contre plusieurs maladies à la fois. «Certains parents craignent que cela ne surcharge leur système immunitaire et ne le rende plus vulnérable face aux infections», note David Goldblatt, professeur de vaccinologie à l’Université de Londres et spécialiste de cette question. Or ce n’est pas le cas, selon lui. «Nous sommes confrontés chaque jour à des millions de bactéries qui se trouvent dans notre intestin et notre système immunitaire s’en sort très bien, dit le médecin. De plus, grâce aux progrès de la médecine, la charge en antigènes des vaccins s’est réduite ces dernières années.»

L’aluminium

Utilisé comme adjuvant dans certains vaccins, l’aluminium a été lié

à une série de maux. «Nous avons constaté une persistance anormalement longue sur le site de l’injection des particules d’aluminium, indique Romain Gherardi, neuro-pathologiste à l’Université Paris-Est Créteil, en France. Elles sont responsables de micro-lésions dans le muscle deltoïde (l’un des muscles de l’épaule, ndlr) et peuvent migrer dans le cerveau.» Il dit avoir vu plus de 600 patients dans ce cas. Ses travaux ont débouché sur un rapport commandé par l’Assemblée nationale française. Rendu en 2013, il n’a pas établi de lien entre l’adjuvant et ces maladies.