Chronique
Texte: Maël Lemoine
Photo: DR

La médecine vue sous l’angle de la philosophie

Comme leurs contemporains, les philosophes s’inquiètent de souffrir, de vieillir, de mourir, et de voir souffrir, vieillir et mourir.

En savoir plus:

Introduction à la philosophie des sciences médicales, Hermann, 2017

Depuis le début des années 2000, des philosophes en nombre croissant se sont interrogés sur la médecine, avec l’effet soit d’enseigner la philosophie à des médecins, soit d’étudier les sciences et les pratiques médicales, soit de contribuer au mouvement des connaissances médicales.

Dans l’enseignement d’abord, c’est l’éthique, une discipline philosophique par tradition, qui tient le haut du pavé. Sous la pression de l’opinion et de la souffrance des soignants eux-mêmes, on a appelé les philosophes à la rescousse pour «remettre du sens» dans le soin et éclairer les questions auxquelles la loi ne suffit pas toujours à répondre. Ni censeurs ni maîtres à penser, ils sont désormais les compagnons de route des professionnels de la santé pour clarifier les problèmes de la fin de vie, de l’accompagnement des personnes vulnérables, des choix cornéliens opposant les aspirations à la bienfaisance, à l’autonomie et à la justice.

Dans leur propre domaine ensuite, les philosophes ont développé une véritable discipline, la «philosophie de la médecine», dont les questions principales sont la nature du phénomène pathologique, les classifications des maladies, le concept de santé des populations, la nature des explications médicales, le pouvoir et les limites de la prédiction, le fonctionnement des preuves en médecine, les difficultés de la décision médicale, la notion de causalité en médecine et, bien entendu, l’ensemble des problèmes spécifiques soulevés par la psychiatrie.

Une poignée de philosophes enfin se sont intégrés aux équipes de recherche, tentant par-là de contribuer à l’évolution des connaissances médicales. Les avancées technologiques entraînent en effet des défis conceptuels. Spécialiste, pour ainsi dire, des situations confuses où un raisonnement rigoureux peut dissiper les ambiguïtés et proposer des visions d’ensemble éclairantes, le philosophe s’est intéressé récemment à ce que l’on appelle la «médecine personnalisée» ou parfois la «médecine de précision», mais aussi aux modélisations du développement du cancer ou du système immunitaire. Par exemple, les possibilités offertes par le séquençage à haut débit et les données massives dépassent de loin les modes de raisonnement traditionnels et nécessitent d’imaginer de nouvelles manières d’exploiter l’information. Il n’est pas incongru de faire appel à un philosophe, aux côtés du mathématicien et du biologiste.

Nul doute que la philosophie de la médecine a devant elle un avenir radieux. La dernière étape est peut-être, pour les philosophes de la médecine, de faire connaître ces manières de travailler au public le plus large. ⁄



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Bio

Maître de conférences au sein de la faculté de médecine de l’Université de Tours et auteur ou coauteur de nombreux articles et ouvrages, Maël Lemoine vient de publier ce printemps une «Introduction à la philosophie des sciences médicales».