Témoignage
Texte: Erik Freudenreich
Photo: Laurianne Aeby (SAM)

«Il est essentiel d'écouter ce que vit une personne qui souffre de psychose»

Il y a dix ans, le Fribourgeois Blaise Rochat a vécu une décompensation psychotique. Aujourd’hui, il s’engage pour améliorer les relations entre les patients et les personnes qui les côtoient.

«Ma vie a basculé vers l’âge de 46 ans. Jusque-là j’avais un travail, j’étais marié et père d’un enfant. Je travaillais d’ailleurs dans le domaine de la santé, d’abord en tant qu’infirmier en psychiatrie, puis en tant que professeur HES. C’est alors que de grandes difficultés se sont accumulées: le diagnostic d’un cancer, une septicémie, suivis d’une déception sentimentale. L’hypothèse, c’est que cet ensemble de souffrances m’a amené à faire une décompensation psychotique.

Cela s’est traduit par un délire progressif: je me suis mis à entendre des voix et à converser avec elles. Petit à petit, je me suis complètement isolé du monde extérieur. Mes interactions étaient limitées à ces centaines de voix que je percevais sur le plan psychique. Parmi elles, 80% étaient agressantes. J’ai vécu des peurs très intenses lors de certains moments de délire. C’était vraiment très difficile à supporter. La situation est devenue impossible à gérer pour mes proches.

Quand j’ai été hospitalisé, j’ai eu l’impression d’avoir peu échangé avec les soignants. Le moment qui s’est le mieux passé a été la période de la pose du diagnostic, parce que j’avais le sentiment que l’on cherchait véritablement à me comprendre.

Une fois le verdict tombé, c’est comme si les souffrances que je vivais sur le plan intérieur n’intéressaient plus personne, puisque cela relevait du délire. Cette période aigüe de ma décompensation a duré environ quatre ans.

Quand j’ai commencé à aller mieux, j’ai mesuré l’ampleur des dégâts. J’ai vécu un temps de dépression et de doutes sur le plan de mes capacités, de mon identité. Durant cette phase, j’ai noué des contacts au sein d’une association de patients. J’y ai rencontré des personnes qui m’acceptaient tel que j’étais et qui m’ont incité à reprendre des responsabilités. Cela m’a beaucoup aidé pour retrouver confiance en moi et recréer des liens sociaux.

Aujourd’hui, j’interviens régulièrement dans des classes de futurs soignants. J’amène un double regard, de personne concernée et d’ancien professionnel de la santé.

J’essaie de leur transmettre qu’il est essentiel d’écouter ce que vit la personne qui souffre.

Je partage aussi mon histoire via un site web (experience-schizophrenique.ch, ndlr) et lors des conférences destinées au grand public. J’y insiste tout autant sur l’importance d’un dialogue entre patients, proches et professionnels. Actuellement, je présente très peu de symptômes psychotiques, mais je doute encore de mes capacités et de ma manière de réagir à une situation de grand stress. Mon témoignage possède une valeur singulière, cela d’autant plus que j’ai décompensé à un âge plus avancé que la moyenne. Il est néanmoins souvent une source d’espoir pour les gens qui viennent m’écouter.»



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