Interview
Texte: Daniel Saraga et Melinda Marchese
Photo: Christophe Voisin

George Coukos: «Voir certains patients en rémission est un vrai miracle»

La donne a changé: en cas de cancer, l’espoir n’est pas de simplement retarder l’inévitable – mais d’en guérir. Spécialiste mondial de l’immunothérapie, George Coukos détaille l’état de la recherche actuel en matière de cancer.

IN VIVO En 1971, le président américain, Richard Nixon, déclarait la guerre contre le cancer. Quarante ans plus tard, elle n’est toujours pas gagnée.
GEORGE COUKOS
Non, bien sûr. Mais des résultats spectaculaires ont été obtenus avec les nouvelles approches telles que la thérapie ciblée et l’immunothérapie. Et la combinaison de différents traitements – médicaments, chimie et radiothérapie – démultiplie parfois les effets.

IV Votre domaine, l’immunothérapie, est aujourd’hui célébré comme l’approche la plus prometteuse
GK
Nous avons fait d’énormes progrès. Nous savons désormais qu’aider le corps à se défendre peut avoir un impact très important contre la maladie. Il est possible, par exemple, de profiter d’une opération chirurgicale pour extraire des globules blancs (les cellules composant notre défense immunitaire, ndlr), booster leur efficacité et les réinjecter dans le corps du patient. Cette technique permet d’agir même dans des cas auparavant désespérés, tels que des mélanomes ayant fait des métastases. Avoir des patients en rémission plus de cinq ans après le diagnostic, c’est vraiment un miracle.

IV Pourquoi n’y a-t-il encore qu’une poignée de traitements d’immunothérapie disponibles?
GK
Les chercheurs se sont d’abord attaqués à une cible difficile: les vaccins thérapeutiques, qui cherchent à éduquer la défense immunitaire en la mettant en contact avec des marqueurs liés au cancer. Nous avons également découvert les mécanismes utilisés par le cancer pour neutraliser les défenses du corps humain et nous sommes récemment arrivés à déjouer cette stratégie et à la neutraliser. C’est une vraie partie d’échecs.

IV Les promesses de la génétique et de la médecine personnalisée ont-elles été tenues? Les traitements s’avèrent parfois moins efficaces que prévu et leur prix extrêmement élevé est mal accepté.
GK Il ne faut pas être si pessimiste. Il existe des dizaines de traitements ciblés récemment développés, et ils sauvent des vies. Le cancer est une maladie complexe et hétérogène. Les traitements ne fonctionnent pas toujours sur tout le monde, il est crucial de d’abord analyser le cancer pour en déterminer le type.

Nous pourrons ainsi recruter des participants bien plus vite, ce qui peut à la fois sauver des vies et accélérer la maturation d’un traitement.

IV Chaque jour, les journaux annoncent des résultats encourageants pour des traitements expérimentaux. Mais il se passe généralement plusieurs années avant qu’un traitement soit disponible. Les patients en profitent-ils vraiment?
GK
C’est l’objectif central des centres de recherche dits «translationnels» qui rapprochent radicalement chercheurs et oncologues. Ces derniers peuvent alors rapidement identifier les patients qui pourraient bénéficier d’une nouvelle thérapie et les enrôler dans un essai clinique. C’est le sens du «Centre suisse du cancer» lancé à Lausanne en mai 2013. Nous pourrons ainsi recruter des participants bien plus vite, ce qui peut à la fois sauver des vies et accélérer la maturation d’un traitement.

IV Combien de temps faut-il attendre aujourd’hui pour voir un nouveau traitement utilisé chez des patients?
GK On peut au mieux avoir les premiers essais cliniques après cinq ans et une autorisation de mise sur le marché pour tous les patients après dix ans.

IV Un patient suisse peut-il participer à un essai clinique organisé à l’étranger pour tester une nouvelle molécule?
GK
Cela est possible, mais reste pour l’instant difficile. Un traitement novateur s’accompagne le plus souvent d’une thérapie classique, et les assurances peuvent refuser de la prendre en charge à l’étranger. Nous développons une telle collaboration en Suisse, qui rassemble un nombre intéressant de groupes de recherche et offre déjà la possibilité de participer à des essais novateurs.

IV Les traitements contre le cancer sont extrêmement techniques. Y a-t-il encore la place pour les aspects psychologiques et sociologiques de la maladie?
GK
Je ne suis pas un spécialiste du spirituel, mais je sais que ces aspects jouent un rôle dans le vécu du patient et dans sa guérison. Ce qui est important, c’est que le patient se sente bien. C’est pourquoi nous avons commencé à mettre en place une organisation transversale qui regroupe divers spécialistes – du chirurgien à l’oncologue en passant par des psychologues et des nutritionnistes – autour de différents organes. Le patient ne doit plus gérer différents points de contact et les informations circulent mieux. Nous devons nous intéresser à la personne, pas uniquement à la maladie. ⁄



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Une pointure mondiale de l’immunothérapie

Pendant 20 ans, George Coukos a développé le domaine de l’immunothérapie à l’Université de Pennsylvanie. Il dirige depuis janvier 2013 le département d’oncologie UNIL-CHUV ainsi que le Swiss Cancer Center Lausanne. L’excellence de ses travaux vient d’être saluée par un «Advanced Grant» de l’European Research Council doté de 2,5 millions d’euros. Ce financement soutiendra un projet d’immunothérapie contre le cancer visant à comprendre les interactions entre l’endothélium des tumeurs et des lymphocytes T programmés pour détruire le réseau vasculaire tumoral.

Recherche et clinique réunies

Avec son nouveau Swiss Cancer Center Lausanne, la ville lémanique veut favoriser l’accès aux nouvelles thérapies expérimentales et se profiler comme un important site d’essais cliniques au niveau européen. L’objectif: mettre au point un centre de recherche «translationnelle» qui rapproche chercheurs et oncologues. Ceux-ci peuvent alors plus facilement trouver des patients qui pourraient bénéficier des toutes nouvelles recherches.

Fondé par le CHUV, l’UNIL, l’EPFL, l’Isrec et le Ludwig Center for Cancer Research, le centre s’installera dans un nouveau bâtiment prévu pour 2016. Ce dernier devrait accueillir à terme plus de 400 chercheurs.