Vitamines, oméga-3, caféine… Comment utiliser judicieusement ces substances réputées bénéfiques?
In Vivo Qu’est-ce qui différencie un complément alimentaire d’un médicament?
Luc Cynober Les différences varient d’un pays à l’autre. Fondamentalement, les compléments alimentaires sont des substances destinées à palier une carence réelle ou supposée. Trois critères les définissent. En Europe, ils doivent être présents sur une liste positive. En d’autres termes, tout ce qui n’est pas autorisé est interdit. Aux Etats-Unis, c’est le contraire: tout ce qui n’est pas interdit est autorisé, ce qui n’est évidemment pas du tout la même chose. Ensuite, il y a la dose, qui ne peut être supérieure à l’apport recommandé, c’est-à-dire au besoin normal. Par exemple, pour la vitamine C, cet apport est de 120 mg par jour. Enfin, il y a les allégations nutritionnelles, fonctionnelles et de santé. La réflexion est, par exemple, la suivante: tel produit est riche en calcium, le calcium favorise la densité osseuse et un apport de calcium peut prévenir l’ostéoporose.
IV Les compléments alimentaires sont-ils recommandés pour rester en bonne santé?
LC Par essence, les compléments s’adressent à des sous-populations données. Typiquement, les acides foliques sont recommandés chez la femme enceinte et celle qui souhaite avoir un bébé, car une carence entraîne une non-fermeture du tube neural chez le fœtus. Les acides gras oméga-3 sont utiles pour la maturation du cerveau et du système nerveux chez l’enfant. A l’autre bout de l’échelle, la vitamine D sert à la prévention des chutes et des fractures du col du fémur chez les personnes âgées.
IV Existe-t-il des substances favorisant le sommeil, la mémoire ou permettant de booster ses capacités intellectuelles?
LC Tout ce qui est stimulant au niveau cérébral, comme la caféine et surtout les vitamines B, contenues dans certaines céréales ou viandes, est positif pour le cerveau. Certains compléments peuvent favoriser le sommeil ou aider à lutter contre la dépression, mais ils peuvent interagir avec d’autres médicaments, en augmentant ou en annulant leurs effets.
IV Quelles formes prennent ces compléments?
LC La liste des formes autorisées est longue. Cela peut être des gélules, des poudres, des pastilles, des barres ou des gouttes. Ce qui participe à alimenter la confusion entre médicament et complément chez la plupart des gens, d’autant qu’il existe souvent une zone grise en la matière.
IV Des aliments naturels peuvent-ils avoir les mêmes effets que les compléments?
LC Bien sûr, on parle alors d’aliment fonctionnel. Par exemple, la tomate contient du lycopène et d’autres sortes d’actifs, dont certains ne sont pas encore identifiés. Autre exemple: le saumon ou les sardines sont riches en acides gras.
IV N’est-il pas, dès lors, préférable d’utiliser directement ces aliments?
LC En effet. Il faut toutefois rappeler que dans les aliments les concentrations sont moindres. En outre, la question du mûrissement d’un fruit et de sa préparation entre en ligne de compte. Par exemple, la meilleure disponibilité du lycopène ne se trouve pas dans la tomate, mais dans le ketchup. De là à dire que ce dernier est un aliment sain et équilibré, c’est une autre affaire… Il y a aussi la question du goût et du prix. Tout le monde n’aime pas le poisson par exemple, et c’est un produit relativement cher.
IV Ce qui incite les gens à consommer toujours plus de compléments alimentaires…
LC Fondamentalement, beaucoup de gens en absorbent aussi pour se donner bonne conscience de ne pas prendre des repas structurés et équilibrés.
C’est particulièrement vrai aux Etats-Unis où plus de la moitié de la population prend des compléments alimentaires, dont 10 à 20% plus d’une dizaine, voire une vingtaine par jour. En Europe, cela varie entre 20 à 30% de la population.
C’est particulièrement vrai aux Etats-Unis où plus de la moitié de la population prend des compléments alimentaires, dont 10 à 20% plus d’une dizaine, voire une vingtaine par jour. En Europe, cela varie entre 20 à 30% de la population.
IV Qu’en est-il pour les personnes malades?
LC
A partir du moment où l’on parle de maladie, on passe dans le domaine
clinique. En ce qui concerne la prévention de l’obésité par exemple, les
effets sont quasiment nuls. Les traits génétiques et environnementaux
de l’obésité font que cette pathologie nécessite un traitement médical.
Dans le cas d’une personne malade, il ne faut pas croire qu’en prenant
un complément on obtiendra la même efficacité qu’avec un traitement
approprié. Beaucoup de gens veulent l’efficacité sans les effets
secondaires. En cancérologie, cela peut être dangereux, notamment en
raison des interactions entre des compléments antioxydants et la
chimiothérapie. Beaucoup de médicaments de chimiothérapie ont besoin
d’un environnement pro-oxydant pour être efficaces.
IV Quels effets secondaires peuvent survenir en cas de surdosage d’un complément?
LC
Selon le sujet, on peut observer des problèmes neurologiques ou des
saignements. Il faut également souligner les nombreux cas de produits
trafiqués. Aux Etats-Unis, 30% des compléments le sont. C’est pourquoi
il ne faut surtout pas les acheter sur internet auprès de sociétés non
identifiées.
IV On s’intéresse depuis peu aux
différences en termes de réactions entre les hommes et les femmes dans
la prise de médicaments. Qu’en est-il pour les compléments alimentaires?
LC
Il existe sans doute des différences similaires. La régulation de la
masse musculaire varie entre les deux sexes, ne serait-ce qu’à cause des
différences concernant les hormones anabolisantes. Il n’existe en
revanche pas beaucoup de données sur ce sujet. Le problème est que la
possibilité de breveter des résultats reste très limitée. Les
industriels n’ont donc pas envie de financer des études pour un concept
qui pourrait être immédiatement copié par d’autres.
IV Avez-vous d’autres exemples d’aliments ayant des effets positifs sur la santé?
LC
En France, des études ont démontré que la canneberge est recommandée
pour la prévention des infections urinaires chez la femme. On sait aussi
qu’un intestin agressé a des effets sur la peau ou sur les cheveux. Or,
des études intéressantes montrent que certains probiotiques ont des
effets positifs dans ce domaine.
Le professeur Luc Cynober s’intéresse de près aux effets des compléments alimentaires.
Pharmacien-biologiste de formation, Luc Cynober est professeur de nutrition à la faculté de pharmacie de l’Université Paris Descartes. Il est par ailleurs le coordinateur du livre de référence sur les acides aminés et le coauteur de «La vérité sur les compléments alimentaires» publié chez Odile Jacob en 2010.