Editorial
Texte: Béatrice Schaad, responsable éditoriale
Photo: Patrick Dutoit

Patient digitalisé ou manipulé?

«Ensemble, transformons la médecine», «notre expérience est le ferment de l’innovation»… Les slogans des sites web sur lesquels les patients partagent désormais leur expérience fleurent bon le militantisme.

Comme si l’on observait un glissement de l’engagement politique vers une nouvelle forme de citoyenneté médicale. «Indignez-vous», disait Stéphane Hessel dans son pamphlet aux millions d’exemplaires vendus; «Révélez-vous» pourrait être la nouvelle injonction de ceux qui décident d’offrir à des millions de lecteurs l’intimité de leur ADN ou les détails de leur traitement. Raison pour laquelle nous avons intitulé le dossier de ce deuxième numéro de «In Vivo» «Bienvenue dans l’ère de la médecine participative», en clin d’œil au film d’anticipation d’Andrew Niccol, «Bienvenue à Gattaca».

Une chose est sûre, si elle amène un vrai bénéfice au patient désormais moins seul face à la maladie et à la complexité du système de santé, cette activité sur le net modifie en profondeur la relation médecin-patient. Le praticien omnipotent d’«Ivan Ilitch» de Tolstoï fait aujourd’hui face à un individu devenu l’expert de sa propre santé, capable d’étayer son diagnostic du point de vue de centaines de milliers d’autres malades. Cet «homo scientificus» se mesure aussi en flux tendu: il quantifie les soubresauts de son cœur, la part de gras de ses globules et les nanosecondes consacrées à rêver. Enfin, cette nouvelle façon de vivre la médecine modifie dans la foulée un Saint Graal de la pratique clinique, le secret médical. La génération née avec le web livre indifféremment les détails de sa vie la plus intime, il en découle naturellement que la santé n’y fasse pas exception.

La mise en commun des données ne touche pas les seuls patients. Les scientifiques s’y mettent aussi.

La mise en commun des données ne touche pas les seuls patients. Les scientifiques s’y mettent aussi. De cette connaissance partagée pourraient émerger des progrès inespérés dans l’activité clinique et la recherche. C’est le pari que font les équipes engagées dans le projet Human Brain qui vise à simuler le fonctionnement du cerveau sur un supercalculateur.

Mais l’hyper-transparence entraîne de nouvelles exigences: elle demande que ces données soient gérées avec la plus grande attention et surtout qu’elles bénéficient réellement au patient. Car les nouveaux enjeux sont cruciaux, au premier rang desquels les questions financières et de confidentialité. Fort de ses 250’000 contributeurs, le réseau PatientsLikeMe a, sous couvert de recherche, passé des partenariats avec les pharmas comme UCB et Novartis, ou l’entreprise 23andMe qui commercialise des kits de profilage génétique. Une des dérives possibles serait que ces données deviennent un bien de consommation comme un autre. Le patient serait dans le même temps dépossédé de l’essentiel, les informations sur sa propre santé. Le Big Data exige donc un cadre pour que le patient digitalisé ne devienne pas, in fine, un patient manipulé.



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